Abou el Kacem Chebbi
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Abou el Kacem Chebbi | |
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Personnage en cire représentant Chebbi (Musée Dar Cheraït) | |
Naissance | 24 février 1909 |
Décès | 9 octobre 1934 |
Activité | poète |
Nationalité | Tunisie |
Genre | poésie |
Sujet | liberté, amour et résistance |
Œuvres principales | L’imagination poétique chez les Arabes (1929) La volonté de vivre (1933) Ela Toghat Al Alaam (1934) Les chants de la vie (1955) Journal (1965) |
Éditeurs | Dar al-Arab |
Abou el Kacem Chebbi (أبو القاسم الشابي), également orthographié Aboul Kacem Chabbi ou Aboul-Qacem Echebbi, né probablement le 24 février 1909 à Tozeur et mort d’une myocardite le mardi 9 octobre 1934 à Tunis, est un poète tunisien unanimement considéré comme le poète national de la Tunisie[1].
Très jeune, il voyage à travers la Tunisie. En 1920, il entre à la Zitouna où il connaît de difficiles conditions de vie. En parallèle à l’écriture de ses poèmes, il participe aux manifestations anti-zitouniennes qui agite alors Tunis. Ayant terminé ses études, il commence à fréquenter des cercles littéraires et, le 1er février 1929, il tient une conférence à la Khaldounia avec pour sujet l’imagination poétique chez les Arabes. Il y critique la production poétique arabe ancienne et cette conférence, bien qu’elle déclenche dans tout le Proche-Orient des réactions violentes à l’encontre de Chebbi, participe au renouvellement de la poésie arabe. Mais son père meurt en septembre de la même année et, en janvier 1930, il veut réitérer l’épisode de la conférence. Toutefois, celle-ci est boycottée par ses adversaires et constitue un véritable échec pour Chebbi. Sa santé se dégrade alors considérablement et sa mort subite a lieu alors qu’il a à peine 25 ans.
Abderrazak Cheraït considère Abou el Kacem Chebbi comme « l’un des premiers poètes modernes de Tunisie[2] ». Ses poèmes apparaissent dans les revues de Tunisie et du Moyen-Orient les plus prestigieuses. Il écrit sur des notions comme la liberté, l’amour et la résistance, notamment dans son fameux Ela Toghat Al Alaam qui s’adresse « aux tyrans du monde » qu’il écrit en plein protectorat français en Tunisie.
Sommaire |
[modifier] Biographie
[modifier] Famille
Chebbi naît au sein d’une noble famille lettrée et intellectuelle en février 1909 (sans doute le mercredi 24 février[3], soit le 3 safar 1327 dans le calendrier musulman[4]) dans le hameau familial de Châbbiya (devenu aujourd’hui l’un des quartiers de Tozeur)[5]. On ne sait rien de sa mère si ce n’est ses quelques apparitions en filigrane dans certains de ses poèmes comme Cœur maternel[6]. Il est l’aîné de ses frères Abdelhamid et Mohamed Lamine ou plus simplement Lamine[4]. Ce dernier, né en 1917 à Gabès, a fait ses études au Collège Sadiki et sera plus tard ministre de l’éducation nationale dans le premier gouvernement formé après l’indépendance, du 15 avril 1956 au 6 mai 1958[4],[7].
À peine est-il circoncis que la famille Chebbi quitte Tozeur[5]. En effet, son père, Mohamed Chebbi, né en 1879[4], Zitounien de l’Université al-Azhar du Caire, est un cadi[5]. Cette fonction amène donc la famille à parcourir la Tunisie : ils arrivent à Siliana en 1910, à Gafsa en 1911, à Gabès en 1914, à Thala en 1917, à Medjez el-Bab en 1918, à Ras Jebel en 1924 et à Zaghouan en 1927[4]. Chebbi reçoit une éducation traditionnelle à l’école primaire coranique de ces diverses localités[8]. Sa poésie gardera la trace de la variété de ces paysages, d’autant plus que le jeune garçon mène une vie plus contemplative que ses camarades notamment à cause de son cœur fragile dont il souffre très tôt mais aussi par la position sociale de son père[5].
[modifier] Jeunesse
En octobre 1920, il doit suivre la voie tracée par son père : il entre à l’Université Zitouna de Tunis[9] où il apprend le Coran, la tradition de la religion et quelques points de poésie mystique[5]. Il habitera ainsi dans des médersas pendant dix ans — soit toute son adolescence —, dans des conditions difficiles compte tenu de sa santé fragile[9]. Mohamed Farid Ghazi rapporte que « plus tard dans son Journal, il jugera avec sévérité et mépris cet enseignement sclérosé »[9]. Alors que ses trois frères cadets sont inscrits dans des écoles franco-arabes, Chebbi suit une formation dans un arabe pur et classique[5]. Il découvre des auteurs occidentaux — Alphonse de Lamartine, John Keats, Johann Wolfgang von Goethe[10], Ossian, etc[11],[12]. — à travers des traductions en arabe[5] qu’il trouve dans la fréquentation assidue, dès 1927, des bibliothèques de la Khaldounia (institut fondé par les nationalistes tunisiens)[9], du club littéraire de l’association des anciens élèves du Collège Sadiki[8] ou du club littéraire An-Nâdi Al Arabi (Foyer arabe)[10]. Il lit également des auteurs arabes, notamment le poète libanais Khalil Gibran[10], le poète Al-Mutanabbi et l’écrivain égyptien Taha Hussein et son écrit De la littérature antéislamique (1926)[11],[12].
À partir de l’âge de 14 ans, Chebbi écrit ses premiers poèmes[9]. En 1924, son père est nommé à Ras Jebel puis à Zaghouan[13] trois ans plus tard. Il écrit successivement : Ô Amour (1924), Tounis al-Jamila (La belle Tunisie, 1925), La guerre, La complainte de l’orphelin et Le chant du tonnerre (1926), Poésie, Rivière d’amour, D’hier à aujourd’hui et L’éclat de la vérité (1927)[13]. À 18 ans, Chebbi fait une rencontre importante avec l’éditeur Zine el-Abidine Snoussi qui tient une sorte de cénacle littéraire dans son imprimerie Dar al-Arab qui édite des écrivains comme Mahmoud Messaadi, Mustapha Khraïef, Ali Douagi ou Tahar Haddad[14]. Snoussi publie l’année suivante son Anthologie de la littérature tunisienne contemporaine en arabe (1928) où il consacre pas moins de 27 poèmes sur trente pages à Chebbi[15].
Ses poèmes sont alors publiés dans le supplément littéraire du journal En Nahda[15]. Chebbi milite au sein de l’Association des jeunes musulmans et est élu président du comité étudiant dans un climat de contestation de l’enseignement zitounien qui agite alors la capitale et qui va jusqu’à des menaces de grève[15]. En tant que membre du conseil de réformes, conseil composé d’étudiants, il insiste « sur la nécessité de rénover et de moderniser l’enseignement scolastique zitounien »[9]. Ayant terminé ses études secondaires à la Zitouna en 1928, il s’installe alors à l’hôtel et s’inscrit en cours de droit[15] à l’École de droit tunisien[8]. Il fréquente désormais les réunions et les cercles littéraires et commence à intéresser les milieux intellectuels et artistiques[15]. Son look est alors assez dandy : Chebbi ne porte pas de chéchia — les Zitouniens n’oseront le faire qu’après l’indépendance —, s’habille avec élégance et ne porte pas les insignes obligatoires des bacheliers ès sciences théologiques zitouniens[16].
[modifier] Conférence de la Khaldounia
Le 1er février 1929, à la Khaldounia, Chebbi tient une conférence retentissante de deux heures sur le thème de l’imagination poétique chez les Arabes. Son exposé consiste en fait en une rude critique littéraire de la production poétique arabe depuis le premier siècle de l’hégire (VIIe siècle)[17] qui fait à l’époque scandale[18]. Le jeune homme de 20 ans, qui ne connaît aucune langue étrangère et n’a jamais quitté son pays, surprend par l’originalité de ses idées et l’audace de ses jugements :
« Les poètes arabes n’ont jamais exprimé de sentiments profonds, car ils ne considéraient pas la nature avec un sentiment vivant et méditatif, comme quelque chose de sublime, mais plutôt comme on regarde d’un œil satisfait un vêtement bien tissé et coloré ou un beau tapis, rien de plus[17]. »
Comme l’indique Ameur Ghedira, cette conférence « déclenche d’abord en Tunisie, puis au Proche-Orient, une série de réactions violentes contre son auteur »[6]. Jean Fontaine remarque quant à lui que « Chebbi voit surtout les aspects négatifs de la poésie arabe ancienne »[6]. Il ajoute que le poète Abou el Kacem Chebbi « adopte la même démarche que les romantiques voulant une littérature qui corresponde à la vie »[6]. Muhyi al-dîn Klibi, ami de Chebbi, fait le compte-rendu de la conférence en ces termes :
« Cette conférence avait soulevé un grand écho dans les cercles littéraires de telle sorte qu’on peut dire qu’elle constitue le début de la querelle des Anciens et des Modernes, qu’elle a poussé à une sèche polémique entre les partisans du passé et ceux du renouveau[6]. »
Dans le même mois — qui coïncide avec celui du ramadan —, Abou el Kacem Chebbi doit retourner à Zaghouan où son père est gravement malade[17]. Après l’Aïd el-Fitr, il revient à l’imprimerie vérifier la publication de sa conférence[17]. Fier du succès qu’il obtient, Chebbi compte éditer un recueil de poésie avec 83 poèmes[17]. Il l’intitule Aghani al-Hayat — plus tard traduit par Les chants de la vie, Odes à la vie, Cantiques à la vie ou encore Hymnes à la vie[19] — et le propose par souscription à 15 francs[17]. Toutefois, ce diwan ne sera pas publié de son vivant[20].
[modifier] Mariage et échec
En juillet 1929, il écrit C’en est trop mon cœur. Vers la fin du mois, son père, mourant, retourne à Tozeur où la famille Chebbi lui rend visite[4]. On suppose que c’est à ce moment-là que le père de Chebbi promet la main de son fils à l’une des cousines de ce dernier[6], nommée Shahla Chebbi, et avec qui il aura deux enfants : Mohamed Sadok, né le 29 novembre 1931, qui deviendra colonel dans l’armée, et Jalal, né le 4 janvier 1934[21], qui deviendra ingénieur[19]. Son père meurt finalement le 8 septembre 1929[4]. Cette mort le touche beaucoup et, un mois plus tard, Abou el Kacem Chebbi lui rend hommage par son poème Ilâ Allah (1929) qui se traduit par À Dieu[6].
L’année 1929 marque aussi le début des véritables complications de la santé de Chebbi[4]. Son ami Zine el-Abidine Snoussi le présente au médecin Mahmoud Materi qui remarque une baisse de sa force morale et physique[4]. Le lundi 13 janvier 1930, juste avant de se marier, il tient une conférence à la médersa Slimania sur le thème de la littérature maghrébine[22]. Boycottée par ses adversaires, les Zitouniens et les conservateurs, cette conférence est un véritable échec[22]. Le même hiver, sa santé se dégrade encore considérablement[22]. Magnin pense qu’« une conspiration fut organisée autour de lui par certains tenants de la tradition littéraire »[22]. Durant l’été 1930[8], son mariage est finalement célébré[6], la cérémonie coïncidant avec sa décision de commencer son Journal débuté dès le 1er janvier 1930[6]. Il n’a alors que vingt ans[6].
[modifier] Fin de vie difficile
Ressentant de plus en plus d’indifférence de la part de ses compatriotes, le poète est en proie à des crises d’étouffement. On parle alors de myocardite et de tuberculose[22]. Selon Mohamed Farid Ghazi, la maladie dont serait atteint Chebbi touche surtout les enfants et les jeunes entre dix et trente ans, principalement les personnes à l’âge de la puberté[4]. Chebbi écrit alors Le prophète méconnu (1930), un long poème publié en petit nombre d’exemplaires dans une plaquette de luxe aux éditions L’Art au service des Lettres[22].
Ayant terminé ses études et reçu son diplôme en 1930[8], il désire effectuer un stage de jeune avocat au tribunal de la Driba mais, en 1931, par déception ou par obligation, il retourne s’installer à Tozeur[22]. Chebbi va alors s’occuper de sa famille, de sa mère et de ses trois frères, dont il a désormais la charge[23]. Il refait une nouvelle version de son diwan mais, toujours par manque de souscripteurs, il ne réussit pas à le faire publier[21]. En octobre, il écrit Prières au temple de l’amour (1931) alors que naît son premier fils, Mohamed Sadok, le 29 novembre[23]. L’année suivante, il crée l’association de l’amicale du Jérid et l’inaugure par une conférence sur l’hégire le 7 mai 1932[23]. Ce même été, il part à Aïn Draham avec son frère Lamine Chebbi et tous deux font un passage à Tobrouk (Libye), malgré la douleur ressentie par Abou el Kacem en raison de sa mauvaise santé[4].
Pour Chebbi, 1933 est une année féconde : il écrit Pastorale en février[23]. Durant l’été, il se rend successivement à Souk-Ahras (Algérie) puis à Tabarka et y rédige le 16 septembre 1933 La volonté de vivre[24], puis Mes chansons et Sous les branches[23]. En décembre, il compose La chanson de Prométhée[21]. Alors que son second fils Jalal voit le jour, il compose durant le mois de février 1934 L’aveu puis Le cœur du poète en mars et son fameux Ela Toghat Al Alaam (الى طغاة العالم) — en français Aux tyrans du monde[21] — en avril. Au printemps, il se repose à El Hamma du Jérid, une oasis à proximité de Tozeur[4].
Mais la maladie continue à peser sur lui[25]. Le 26 août 1934, Chebbi part se soigner à l’Ariana où l’on ne parvient pas identifier sa maladie[25]. Il a encore la force de retrouver ses amis, puisqu’une photo de lui prise à Hammam Lif peu avant sa mort paraîtra en couverture d’Al-âlam al-adabi (Le monde littéraire) au mois de décembre suivant[25]. Le 3 octobre, il est admis à l’hôpital italien — actuel Hôpital Habib Thameur — pour une myocardite et y meurt au matin du 9 octobre, à 4 heures, soit le 1er rajab 1353 du calendrier musulman[4], alors qu’il est à peine âgé de 25 ans[25].
[modifier] Opinions
[modifier] Mythologie arabe
Lors de sa conférence à la Khaldounia, Abou el Kacem Chebbi tient d’abord un discours sur « l’imaginaire poétique et la mythologie arabe »[26]. Il s’indigne que « l’histoire n’a[it] retenu de la mythologie arabe que peu de choses[26] » mais explique ceci ainsi :
« Contrairement à d’autres civilisations, les légendes ou contes ne se trouvent dans aucun recueil, aucun manuscrit. Ils restent dispersés dans différents ouvrages ou sont transmis par la tradition orale, au point que les rassembler serait très difficile[26]. »
[modifier] Femme dans la littérature arabe
Chebbi pense que les Arabes « n’avaient comme expression de la beauté que celle de la femme[27] » mais leur reproche qu’au lieu « de la placer sur un piédestal et de la voir d’un regard noble et sacré, à l’exemple des artistes grecs qui en firent leurs muses, le poète arabe ne l’évoque qu’en tant qu’objet de son désir et de sa convoitise charnelle[27] ». Toujours lors de sa conférence à la Khaldounia, Chebbi choque par ces propos :
« La vision de la femme dans la littérature arabe est une vision médiocre, très basse et complètement dégradée[27]. »
[modifier] Œuvre
[modifier] Langue
La poésie est le genre littéraire le plus répandu en Tunisie[18] et c’est dans ce contexte que le classicisme de la poésie tunisienne est bouleversé par Chebbi qui, bien qu’élevé dans un arabe littéral, apprécie le « parler populaire » tunisien[28]. Il déclare à propos des écrivains tunisiens partisans de l’arabe classique :
« [Ils] sont prisonniers d’un grand nombre de clichés et de contraintes poétiques qui les forcent à imiter les anciens, ils écrivent une langue qui n’est pas la leur[29]. »
La particularité linguistique de l’œuvre de Chebbi est qu’il s’exprime « dans un langage nouveau, rompant avec une tradition séculaire[18] ».
[modifier] Thèmes
Abderrazak Cheraït pense qu’Abou el Kacem Chebbi est « le poète romantique par excellence, le révolté ».[2] Avec Chebbi, la poésie tunisienne s’inscrit dans une modernité dont les thèmes sont fortement influencés par le romantisme[18] : il représente d’ailleurs un peu l’héritage tardif du romantisme qui a dominé l’Europe de la fin du XVIIIe siècle à la moitié du XIXe siècle[30]. Lord Byron, mort en héros lors de la guerre d'indépendance grecque, l’a très certainement inspiré pour son poème La volonté de vivre (1933)[31] mais, à la différence des poètes romantiques français tels que Alfred de Vigny, Alfred de Musset, François-René de Chateaubriand, Alphonse de Lamartine ou encore Victor Hugo, Chebbi n’a pas fait prévaloir le sentiment sur la raison et l’imagination sur l’analyse critique[31]. Par ailleurs, on peut remarquer une certaine similitude de Chebbi avec Arthur Rimbaud, jusque dans la précocité du génie[31].
Chebbi a également été influencé par l’école libanaise du Mahjar, établie principalement aux États-Unis, dont les principaux poètes sont Khalil Gibran et Ilya Abu Madi[31].
Toutefois, même si la poésie de Chebbi reste elle-même assez classique sur la forme — Chebbi garde ainsi la métrique classique[18] —, le fond est d’une grande nouveauté pour l’époque[32]. Dans des poèmes comme Ela Toghat Al Alaam où, en plein protectorat, il dénonce le colonialisme français, Chebbi fait preuve d’humanisme :
« Il [Chebbi] est [...] le poète de la liberté qui appelle [...] à la rébellion contre les tyrans[2]. »
[modifier] Prose
La production littéraire de Chebbi ne s’arrête pas à la poésie[33] comme le montre le texte de sa conférence sur L’imagination poétique chez les Arabes mais également son Journal où, par de courts extraits, il exprime une opinion sur lui-même et sur son travail poétique[33]. Cependant, la part autobiographique y est assez réduite, bien qu’il y livre un certain nombre d’indications sur son caractère, son éducation et ses goûts[34]. Ainsi, bien que ces écrits en prose soient moins connus, ils présentent également un certain intérêt littéraire[33].
[modifier] Influences
Chebbi reste jusqu’au XXIe siècle l’un des poètes arabes les plus lus par les arabophones[35]. Il est, dans le monde arabe, le poète tunisien le plus connu[36].
Dans les années 1930, le monde arabe, totalement sous domination coloniale n’est pas inscrit, à quelques exceptions, dans les courants poétiques modernes comme le surréalisme, le futurisme et Dada[32]. Jusqu’à cette période, il existe un décalage entre la poésie arabe et la poésie occidentale moderne et ce n’est que durant les années 1940 que la poésie arabe est totalement imprégné des nouveaux courants poétiques[32]. Durant les années 1970, un mouvement littéraire, Fi ghayr al-amoudi wal-hurr (Poésie autre que classique et libre), est lancé par de jeunes poètes comme Habib Zannad et Tahar Hammami qui se libèrent de la métrique poétique arabe et du vers libre et s’imprègnent de la poésie libre de Jacques Prévert[20],[37]. Au-delà de ce mouvement, d’autres poètes comme Salah Garmadi dans Al-lahma al-hayya (Chair vive, 1970) écrit avec des mots typiquement tunisiens, garde le vers libre et cherche des thèmes davantage universels[36], déstabilisant ainsi une « écriture trop conformiste »[20].
[modifier] Héritage
Chebbi laisse un total de 132 poèmes et des articles parus dans différentes revues[28] d’Égypte et de Tunisie[8]. Mais il ne parviendra pas, malgré deux tentatives[21], à faire éditer son diwan, recueil de poèmes qu’il a sélectionnés peu de temps avant sa mort[33] et qui ne sera publié qu’en 1955[17] au Caire[8] — soit 21 ans après sa mort — après qu’un critique littéraire venu d’Égypte, Omar Faroukh, a mis en lumière son génie poétique et son talent. Traduit dans plusieurs langues, son diwan est réédité à plusieurs reprises[33], notamment à l’occasion du 30e anniversaire de sa mort, avec une préface rédigée par son frère Lamine Chebbi[38]. Cette commémoration donne lieu à un festival international qui dure du 24 au 28 février 1966 et au cours duquel Chedli Klibi, alors ministre de la culture, déclare :
« C’est un témoignage de fidélité que de penser [...] à élargir le cercle des participants de cet anniversaire, pour que ce festival soit à l’unisson de la volonté du poète [...] : il a voulu en effet qu’elle soit à l’échelle du monde arabe[38]. »
Un colloque est organisé à l’occasion du cinquantenaire de sa mort : Chebbi y est regardé comme étant un « poète mystique, nationaliste, révolutionnaire et philosophe[39]. » Mais la reconnaissance du génie de Chebbi est autant marquante que tardive. Si sa santé aurait été moins fragile, Chebbi aurait sans doute laissé un héritage beaucoup plus lourd que celui qu’il a laissé[28]. Najla Arfaoui regrette : « Chebbi est un mortel que la nature n’a pas favorisé[28]. » Elle résume la capacité de Chebbi à allier maladie et poésie en ces termes :
« Dans sa lutte contre la maladie, [...] la poésie était pour lui l’expression de cet affrontement douloureux[40]. »
Le portrait de Chebbi figure sur trois timbres de La Poste Tunisienne[41] basés sur des dessins de Hatem El Mekki[42],[43] et de Yosr Jamoussi[44] et sur le billet de trente dinars tunisiens[45] émis le 7 novembre 1997[46] par la Banque centrale de Tunisie[47]. Par ailleurs, des rues, des places, le lycée de Kasserine, un prix littéraire[47] et une salle du palais présidentiel de Carthage portent son nom[48]. En 1953, la collection Autour du monde des éditions Seghers à Paris publie certains de ces poèmes[47]. On lui consacre des thèses universitaires[47]. On trouve également à Tozeur, sa ville natale, de nombreuses traces de Chebbi : son tombeau, transformé ensuite en mausolée, est inauguré le 17 mai 1946[47], un médaillon de bronze est scellé au mur de Bab El Hawa en 1995, une statue de lui est érigée dans la zone touristique en 2000 et son buste est élevé aux environs de Tozeur, en 2002, face à un aigle. En 2002 également, durant la seconde Intifada, la chanteuse Latifa Arfaoui décide de mettre en musique Ela Toghat Al Alaam et de chanter le poème en le dédiant à Ariel Sharon et George W. Bush. Enfin, ces deux vers de Chebbi, issus de son poème La volonté de vivre, sont intégrés à la fin de l’hymne national Humat Al-Hima :
« Lorsqu’un jour le peuple veut vivre, force est pour le destin, de répondre, force est pour les ténèbres de se dissiper, force est pour les chaînes de se briser[1]. »
[modifier] Publications
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La plupart des poèmes de Chebbi ont été traduits en français par Ameur Ghédira[50]. Lors d’un colloque sur le thème de « La traduction de la littérature tunisienne en langues étrangères », Rafiq Ben Ouennes est le seul à émettre un avis favorable sur la traduction qu’il a examiné[50]. En l’occurrence, cette traduction est celle des poèmes de Chebbi qui est, selon Ben Ouennes, la seule à avoir atteint un haut degré de perfection[50].
[modifier] Références
- ↑ a b Abderrazak Cheraït, Abou el Kacem Chebbi, éd. Appolonia, Tunis, 2002, p. 19
- ↑ a b c Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 9
- ↑ Mohamed Hassen Zouzi-Chebbi indique le 4 février dans La philosophie du poète. L’exemple d’un poète tunisien de langue arabe - Abul Qacem Chabbi, éd. L’Harmattan, Paris, 2005, p. 14
- ↑ a b c d e f g h i j k l m (ar) Biographie d’Abou el Kacem Chebbi (Khayma)
- ↑ a b c d e f g Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 23
- ↑ a b c d e f g h i j Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 32
- ↑ (fr) « Entretien avec Mr Chedli Klibi : Puiser en nous-mêmes les accents qui forcent les portes de l’universel », La Presse de Tunisie, 28 mars 2006
- ↑ a b c d e f g Mohamed Hassen Zouzi-Chebbi, op. cit., p. 14
- ↑ a b c d e f Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 25
- ↑ a b c Mohamed Hassen Zouzi-Chebbi, op. cit., p. 27
- ↑ a b Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 26
- ↑ a b Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 94
- ↑ a b Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 27
- ↑ Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 28
- ↑ a b c d e Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 29
- ↑ Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 30
- ↑ a b c d e f g Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 31
- ↑ a b c d e Tahar Bekri, De la littérature tunisienne et maghrébine et autres textes, éd. L’Harmattan, Paris, 1994, p. 15 (ISBN 2738428169)
- ↑ a b (fr) Biographie d’Abou el Kacem Chebbi (AfkarNet)
- ↑ a b c Tahar Bekri, op. cit., p. 16
- ↑ a b c d e Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 37
- ↑ a b c d e f g Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 33
- ↑ a b c d e Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 35
- ↑ Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 48
- ↑ a b c d Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 38
- ↑ a b c Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 95
- ↑ a b c Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 99
- ↑ a b c d Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 39
- ↑ Abderrazak Cheraït, op. cit., pp. 39-40
- ↑ Tahar Bekri et Olivier Apert, Marcher sur l’oubli (entretiens), éd. L’Harmattan, Paris, 2000, p. 51 (ISBN 2738491804)
- ↑ a b c d (fr) Adel Latrech, « L’universalité de Abou el Kacem Chebbi. L’alchimie du verbe », La Presse de Tunisie, 17 mars 2008
- ↑ a b c Tahar Bekri et Olivier Apert, op. cit., p. 43
- ↑ a b c d e Mohamed Hassen Zouzi-Chebbi, op. cit., p. 15
- ↑ Mohamed Hassen Zouzi-Chebbi, op. cit., p. 16
- ↑ Tahar Bekri et Olivier Apert, op. cit., p. 50
- ↑ a b (en) Éric Sellin et Hédi Abdel-Jaouad, « An introduction to Maghrebian literature », Literary Review, hiver 1998, p. 6
- ↑ (fr) Fantaisie arabe et poésie critique (Guide Tangka)
- ↑ a b Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 111
- ↑ Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 115
- ↑ Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 109
- ↑ (fr) Liste des timbres représentant Abou el Kacem Chebbi (La Poste Tunisienne)
- ↑ (fr) Timbre n°768 dessiné par Hatem El Mekki et émis le 20 novembre 1962 (La Poste Tunisienne)
- ↑ (fr) Timbre n°1241 dessiné par Hatem El Mekki et émis le 9 octobre 1984 à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Abou el Kacem Chebbi (La Poste Tunisienne)
- ↑ (fr) Timbre n°1471 dessiné par Yosr Jamoussi et émis le 12 août 1995 (La Poste Tunisienne)
- ↑ Driss Abbassi, Entre Bourguiba et Hannibal. Identité tunisienne et histoire depuis l’indépendance, éd. Karthala, Paris, 2005, p. 227 (ISBN 2845866402)
- ↑ (en) Billet de trente dinars représentant Abou el Kacem Chebbi (Collection de billets de banque de Tunisie)
- ↑ a b c d e Abderrazak Cheraït, op. cit., p. 117
- ↑ (fr) Image de la salle Abou el Kacem Chebbi (Présidence de la République tunisienne)
- ↑ Traduit de l’arabe par Mongi Chemli et Mohamed Ben Ismaïl, éd. Fondation nationale, Carthage, 1988
- ↑ a b c (fr) [pdf] Mohamed Salah Ben Amor, « La traduction de la littérature tunisienne en langues étrangères (Beït Al-Hikma : 17 et 18 avril 1998) », Meta, vol. 45, n°3, septembre 2000, pp. 565-567
[modifier] Bibliographie
- Abderrazak Cheraït, Abou el Kacem Chebbi, éd. Appolonia, Tunis, 2002 (ISBN 9973827120)
- Mohamed Hassen Zouzi-Chebbi, La philosophie du poète. L’exemple d’un poète tunisien de langue arabe - Abul Qacem Chabbi, éd. L’Harmattan, Paris, 2005 (ISBN 9782747592529)