Protocoles des Sages de Sion
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Les Protocoles des Sages de Sion (en russe, Протоколы сионских мудрецов ou Сионские протоколы) est un document fallacieux, fabriqué par un Russe vivant à Paris, à la demande de la police secrète du tsar, et à l'intention de celui-ci qui en fit un instrument de propagande.
Ce document fut écrit à la fin du XIXe siècle à Paris par un faussaire antisémite russe, Mathieu Golovinski. Le texte tendait à faire croire qu'il existait un programme mis au point par un conseil de sages juifs voulant anéantir la chrétienté et dominer le monde. L'objectif visé ouvertement était donc d'alerter la Chrétienté du danger qu'elle courait à plus ou moins long terme ; mais l'auteur et ses commanditaires avaient d'autres intentions plus directes et plus politiques : sensibiliser le tsar et son gouvernement aux méfaits qui découleraient inévitablement d'une trop grande ouverture à l'égard des Juifs de l'Empire, réputés comme les chantres inconditionnels de la vie moderne, et intéressés au premier chef par un changement libéral de régime[1] depuis que leur statut avait été dégradé par les tsars réactionnaires comme Alexandre III[2].
Le livre est composé de récits supposés être les comptes-rendus d'une vingtaine de réunions secrètes exposant un plan secret de domination du monde. Ce plan imaginaire utiliserait violences, ruses, guerres, révolutions et s'appuierait sur la modernisation industrielle et le capitalisme pour installer un pouvoir juif. La publication à grande échelle de ce texte prétendait dévoiler ce « complot juif ». Ce texte fut repris par Adolf Hitler[3] comme pièce maîtresse de la propagande antisémite du Troisième Reich. Depuis lors il n'a cessé d'être lu et amplement diffusé ; il constitue une pièce centrale dans l'arsenal de l'antisémitisme contemporain. On le retrouve également dans la théorie de ZOG, apparue dans les milieux d'extrême droite aux États-Unis.
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[modifier] Introduction
Les Protocoles des Sages de Sion, parfois surtitrés Programme juif de conquête du monde, sont parus en deux temps et deux versions proches, toutes deux éditées en Russie, d'abord partiellement en 1903 dans le journal Znamia (Знамя), puis, dans une version complète, en 1905 et 1906. Durant les quinze années suivantes, les Protocoles circulent dans les cercles restreints de la police secrète et des antisémites russes. Avec la Révolution d'Octobre en 1917, et la fuite en masse de Russes anti-révolutionnaires (on comptait parmi eux un certain pourcentage d'antisémites) vers l'Europe de l'ouest, l'aire d'influence des Protocoles s'élargit[4]. Ils ne deviennent cependant célèbres à l'échelle internationale qu'en 1920 lorsqu'ils sont traduits en allemand (janvier) puis en anglais (février).
Dès leur arrivée sur la scène publique, leur authenticité a fait l'objet de questionnements. Dans son édition du 8 mai 1920 The Times de Londres évoque ce « singulier petit livre » dans un éditorial titré « Le Péril juif, un pamphlet dérangeant. Demande d'enquête » ; l'article, malgré le titre dubitatif, tend à démontrer le caractère authentique du pamphlet[5], en particulier en insistant sur sa nature de prophétie réalisée. L'article du Times sort au moment où les Russes Blancs (contre-révolutionnaires) étaient en train de perdre la guerre civile qui avait débuté en 1918, et où le premier ministre britannique, Lloyd George, envisageait de négocier avec les bolchéviques ; il s'agissait alors pour les durs du parti conservateur de discréditer les nouveaux maîtres du Kremlin en agitant l'épouvantail d'une « Pax Hebraica », et le Times se prêta à la manoeuvre[6]. Un an plus tard, le 17 août 1921, le Times revient sur son erreur et publie la preuve du faux sous le titre La fin des Protocoles - mais sans convaincre grand monde puisque les thèmes développés dans les Protocoles seront repris au cours des années suivantes dans de nombreux ouvrages (pseudo-scientifiques, polémistes, ou de fiction) antisémites publiés à travers l'Europe[7].
[modifier] Un faux
L'examen attentif du texte a mis en évidence la falsification : les Protocoles ne sont en fait qu'un plagiat du texte du Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, publié à Bruxelles en 1864 par Maurice Joly, qui y dénonce un complot bonapartiste. La supercherie devient évidente par simple comparaison ligne à ligne des deux textes.
La vérité sur son auteur n'a, quant à elle, été découverte qu'à la fin du XXe siècle par un historien en littérature russe : Mikhail Lépekhine grâce à l'ouverture des archives soviétiques à partir de 1992. Le faussaire est en effet devenu compagnon de route des Soviétiques qui détenaient les documents.
La structure du texte falsifié découverte, puis le faussaire et les causes de la falsification identifiées, il ne subsiste plus aujourd'hui aucun doute sur la nature de ce document. Pourtant, certains partis ou groupes antisémites, voire certains régimes continuent de citer les Protocoles des Sages de Sion comme preuve irréfutable d'un complot juif international... Les historiens sont cependant unanimes sur cette falsification grossière, aux conséquences paradoxalement considérables.
[modifier] Histoire
Mathieu Golovinski connaît bien les techniques de la propagande, ayant travaillé dans les années 1890 pour le Département de la presse à Saint-Petersbourg dirigé par Michel Soloviev, un antisémite qui fait de Golovinski son protégé.
Exilé à Paris, il travaille au Figaro avec le fils de Maurice Joly, Charles Joly, et exerce ses talents auprès de Pierre Ratchkovski pour la police politique russe (l'Okhrana) en France. En France la politique de discrimination à l'égard des juifs par le régime de Nicolas II suscite des critiques. Les antisémites russes en exil veulent conforter le Tsar dans sa politique, voire l'inciter à la durcir.
C'est pourquoi Ratchkovski commande les Protocoles, destiné à l'origine au tsar seulement. Le texte, « authentifié » par le ministère de l'interieur malgré la réticence du plus proche conseiller du Tsar, le comte de Witte[8], se veut une preuve décisive d'un plan juif de domination du monde reposant sur la modernisation industrielle et financière.
L'antisémitisme du propos va de pair avec l'antimaçonnisme. Pierre-André Taguieff indique que le titre en russe d'une des deux premières éditions en 1905 était « Extraits des protocoles anciens et modernes des Sages de Sion de la société mondiale des francs-maçons[9] » et qu'il s'agissait de promouvoir l'image de « Sages de Sion, figures fictives du mythe anti-judéo-maçonnique[10] » . L'auteur des Protocoles fait en effet dire aux juifs : « La Loge maçonnique joue, inconsciemment, dans le monde entier, le rôle d’un masque qui cache notre but. »
[modifier] Utilisations
Ce texte servit par la suite d'instrument de propagande antisémite, aux nazis notamment. Caractérisant les Juifs sur des bases racistes et non plus seulement religieuses, il fut et reste un des véhicules majeurs de l'antisémitisme moderne, utilisant la logique de la théorie du complot.
L'ouvrage a été interdit en France par un arrêté de mai 1990[11]. Il est également interdit en Suisse depuis 1935[12]. Il jouit d'une certaine popularité parmi les populations du Moyen-Orient où il est régulièrement réédité dans la plupart des pays musulmans, depuis sa première traduction en arabe et édition en Egypte, en 1951. Les Protocoles figurent comme référence dans la Charte du mouvement islamiste palestinien Hamas. Voir les notes ci-dessous sur la place qu'occupe ce texte, premièrement dans la plupart des pays musulmans[13], et deuxièmement sur la diffusion du texte des « Protocoles » dans les pays arabes[14].
Il est également popularisé par divers feuilletons télévisés, diffusés à grande échelle :
- un feuilleton télévisé égyptien, repris par de nombreuses télévisions arabes, Cavalier sans monture, qui évoque de façon centrale dans l'intrigue les Protocoles des Sages de Sion présenté comme un livre tenu secret par des Juifs mais supposé authentique[15] ;
- le feuilleton Diaspora, diffusé par Al-Manar, la télévision du Hezbollah ;
- une série télévisée Al-Sameri wa Al-Saher, sur Al-Alam Télévision, la télévision iranienne, comprenant non seulement une dénonciation du supposé pouvoir des juifs sur le monde, mais un négationnisme ouvertement exprimé à l'égard des crimes commis envers les juifs.
Toutes ces diffusions sont très populaires et largement reprises par de nombreuses autres télévisions nationales[16].
Au terme d'une de ses études sur les Protocoles, Pierre-André Taguieff propose cinq fonctions qu'ils peuvent remplir dans l'imaginaire - et dans la réalité, puisque la mise à jour d'un complot (n'existant que dans l'esprit de ses découvreurs) est souvent suivie de l'organisation bien réelle d'un contre-complot :
- aider à l'identification des forces occultes à l'origine du complot chimériques - et confirmer qu'elles sont impitoyables ;
- lutter contre ces forces en révélant les secrets qui les rendent puissantes ;
- justifier la contre-attaque contre l'ennemi désormais clairement identifié comme totalement néfaste ;
- mobiliser les foules (et/ou les autorités) pour la cause que les révélateurs du complot défendent ;
- recréer un monde enchanté, fut-il épouvantable et terrorisant[17].
Les Protocoles ont effectivement rempli ces fonctions à travers les décennies et bientôt les siècles, et leur utilisation sans cesse réactualisée démontre s'il le faut la recherche permanente d'explications pseudo-rationnelles à la marche du monde[18] : rédigés pour lutter contre les révolutionnaires anti-tsaristes, les Protocoles ont servi aux visées anti-sémites, anti-sionistes, anti-américaines et, plus récemment, anti-mondialisation.
[modifier] Notes
- ↑ P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial - Aspects d'un mythe moderne, éd. Mille et une nuits, 2006, p. 118-119.
- ↑ Léon Poliakov, Mémoires, éd. Grancher, 1999, pp. 21-22.
- ↑ Mein Kampf, p. 307
- ↑ P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, 2006, p. 120-121.
- ↑ P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, 2006, p. 123.
- ↑ Léon Poliakov, De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation, Calmann-Lévy, 1983, p. 27. (ISBN 2-7021-1240-4)
- ↑ P.-A. Taguieff, op. cit., p. 123 ; et L. Poliakov, De Moscou à Beyrouth, op. cit., p. 27.
- ↑ Vladimir Fédorovski, De Raspoutine à Poutine, éd. Tempus, p. 26.
- ↑ P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, coll. Les petits libres n° 63, 2006, p. 114.
- ↑ P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, coll. Les petits libres n° 63, 2006, p. 116.
- ↑ arrêté du 25 mai 1990 interdisant la circulation, la distribution et la mise en vente d'un ouvrage (JORF n°121 du 26 mai 1990), pris sur le fondement d'un décret-loi abrogé du 6 mai 1939
- ↑ « Les Protocoles des Sages de Sion »
- ↑ http://www.lamed.fr/actualite/israel/1384.asp ; http://www.phdn.org/antisem/protocoles/origines.html Article de L'Express, Eric Conan, 16/11/1999
- ↑ http://www.col.fr/arche/article.php3?id_article=120
- ↑ Plot Summary: "Horseman Without A Horse"
- ↑ col.fr
- ↑ P.-A. Taguieff, L'Imaginaire du complot mondial, pp. 192-193.
- ↑ P.-A. Taguieff, op. cit.
[modifier] Bibliographie
- Norman Cohn, Histoire d'un mythe Gallimard, coll. "Folio Histoire", 302 p. ISBN 2-07-032692-6
- Will Eisner, Le Complot : L'histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion (bande dessinée), préface d'Umberto Eco, Éd. Grasset, 143 p. ISBN 2-246-68601-6
- Philip Graves, « The Truth about the Protocols: A Literary Forgery », dans The Times of London, 16-18 août 1921.
- Renée Neher-Bernheim, « Le best-seller actuel de la littérature antisémite: Les Protocoles des Sages de Sion », Pardès, 8, 1988.
- Léon Poliakov, La Causalité diabolique, Paris, Calmann-Lévy, 1980.
- Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme (de Voltaire à Wagner), Paris, Calmann-Lévy,
1968.
- Henri Rollin, L’apocalypse de notre temps, Éditions Allia, 1991 — 1re édition 1939.
- Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion, Paris, Berg International, 1992
- Tome I : Un faux et ses usages dans le siècle (408 p.) ; édition revue et augmentée, Fayard 2004 ISBN 2-213-62148-9
- Tome II : Études et documents (816 p.). ISBN 2-911289-57-9
- Pierre-André Taguieff, L'imaginaire du complot mondial - Aspects d'un mythe moderne Mille et une nuits, coll. Les petits libres n° 63, 2006, 216 p. (synthèse et analyse générale de la création d'un complot, avec l'exemple du complot antisémite : la seconde partie, pp. 109-192 relate la genèse et le destin à travers les décennies qu'ont connu les Protocoles des Sages de Sion) ISBN 2-84205-980-8
- Web : [1], introduction de Gordon Fisher
[modifier] Voir aussi
[modifier] Articles connexes
[modifier] Liens externes
- Texte intégral sur Wikisource
- « Les Protocoles des Sages de Sion, ou la fulgurante trajectoire d’un faux » (Analyse du texte et utilisation politique)
- (en) [2] et [3]. Analyse sur le site du Centre Simon Wiesenthal, qui est spécialisé dans la constitution des archives du nazisme et dans la dénonciation de ses prolongements divers, comprenant le recours aux Protocoles.
- « Tout sur le Protocole des Sages de Sion » (Nombreux liens)
- « Aspects du processus de traduction des Protocoles » (Jacques Halbronn ; extrait de la thèse d’Etat Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Paris X, 1999)
- « La vérité est ailleurs ou la véritable histoire des Protocoles des Sages de Sion », documentaire de Barbara Necek, prod. Doc en Stock. Diffusé le 6 mai 2008 sur Arte.