Munition non explosée
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
L'expression munition non explosée (Explosive Remnants of War (ERW) ou encore UneXploded Ordnance (UXO) en anglais) désigne généralement des munitions équipées d'une charge explosive, qui ont été tirées mais qui n'ont pas explosé à l'impact.
Il peut également s'agir de munitions stockées et perdues ou oubliées avant d'avoir jamais été tirées.
Sommaire |
[modifier] Risques/Enjeux
Ces munitions non explosées, avec ou sans détonateur posent un triple problème :
- Risque d'explosion, par mise à feu spontanée, volontaire ou accidentelle ; (l'acide picrique est le principal explosif utilisé en 14-18. Il réagit au contact des métaux en cours de corrosion en formant des picrates particulièrement sensibles, et susceptibles de provoquer l'explosion de la munition).
- Risque de fuite de toxique suite à la corrosion ;
- Problème éco-toxique lié à la toxicité de tout ou partie des éléments qui composent ces munitions.
Là où ces munitions sont nombreuses, et tout particulièrement dans le cas des munitions immergées et des munitions contenant des toxiques de guerre, elles constituent une menace très sérieuse pour les écosystèmes, la sécurité civile et la santé.
[modifier] Historique
Le problème a émergé avec la Première Guerre mondiale et concerne tous les conflits armés qui ont suivi, ainsi que les terrains d'exercices militaires. La guerre du Viêt-Nam en a laissé un nombre particulièrement important (30 % des munitions n'ont pas explosé au Laos, pays réputé avoir été le plus densément bombardé au monde avec 2 millions de tonnes de munitions larguées, dont beaucoup de mines anti-personnel et bombes à sous-munitions), de même dans le golfe persique, en Afghanistan, etc.
Les « progrès » fulgurants de l'artillerie de 1914 à 1918 ont doté les obus d'une énergie cinétique jamais atteinte auparavant, mais de nombreux obus n'explosaient pas. Ces derniers pouvaient s'enfoncer (sans exploser) jusqu'à 15 m de profondeur et plus dans des sols non rocheux. La plupart de ceux-ci y sont toujours. En France, en Angleterre, en Allemagne, on retrouve régulièrement des bombes de 5 ou 10 tonnes datant de 1939-1945, non explosées à plusieurs mètres de profondeur dans le sol ou dans les sédiments.
Parfois il s'agit de stocks d'obus récupérés lors de la reconstruction, qui ont été enterrés ou jetés en mer, dans des mares, marais, puits, trous d'obus, bras morts de fleuves, ou lacs (Selon une étude suisse, un lac sur deux dans ce pays aurait fait l'objet de rejets de déchets militaires dangereux). On a jeté des milliers d'obus dans des cavernes comme le gouffre où naissent les sources de la Loue, en France. L'eau qui alimente le fleuve et une partie des habitants du département y coule aujourd'hui sur un lit d'obus jetés là après 1918.
[modifier] Quantités
Rien que pour l'Europe de l'Ouest, les experts du déminage et de la sécurité civile estiment qu'un quart (25%) du milliard d'obus tiré pendant la Première Guerre mondiale dans le nord et l'est de la France et environ 1/10e de ceux de la Seconde Guerre mondiale n'ont pas alors explosé. Or, si le déminage a été méthodiquement conduit après le conflit de 1939-1945, il a été moins bien réalisé après 1918, époque où l'on ne disposait pas de détecteurs de métaux ou d'explosifs (et semble-t-il avec un mauvais archivage des actions entreprises).
Depuis 1945, date à laquelle a été initié un déminage rigoureux et coordonné, ce sont plus de 660 000 bombes qui ont été dégagées, 13,5 millions de mines et 24 millions d'obus et autres explosifs (des deux guerres mondiales ou parfois issus d'exercices). Autour de Verdun on extrait encore environ 900 tonnes de munitions du sol par an. À ce rythme il faudra environ 700 ans pour nettoyer et détruire la totalité des obus non explosés enfouis dans les sols français. De plus, les premières archives organisées semblent ne dater que de 1950 environ. Elles n'ont été informatisées qu'à partir de l'an 2000, ce qui laisse un flou historique pour la période 1918-1920 rendant plus difficile la remédiation de cette partie des séquelles de guerre.
[modifier] Danger d'explosion
Certaines de ces munitions ont une puissance explosive importante. Le risque d'auto-explosion sous l'eau est moindre, mais certains dépôts sous-marins rassemblent plus de 50 000 tonnes de munitions, de quoi provoquer un mini-tsunami en cas d'explosion. Dans les fosses des Casquets, environ 8000 conteneurs anglais de déchets radioactifs jetés au-dessus d'un lit d'obus et d'autres déchets préoccupent beaucoup les ONG environnementalistes.
Le cargo américain SS Richard Montgomery s'est échoué en 1944 devant les côtes nord du Kent près de l'île de Sheppey dans l'estuaire de la Tamise (à 1,5 mile de Sheerness et à 5 miles de Southend). Sur 6 127 tonnes qu'il devait transporter à Cherbourg, 3 173 tonnes de munitions correspondant à 13 700 munitions dont 1 429 caisses de bombes au phosphore et 1 400 tonnes de TNT) ont été abandonnées avec le navire avant d'avoir pu être transbordées sur d'autres navires, comme le reste de la cargaison. Ces munitions menacent toujours d'explosion ou de fuite, justifiant une surveillance permanente par les garde-côtes et au radar. Le bateau polonais Kielce a été coulé au large de Folkestone en 1946 avec un tonnage comparable de munitions issues de la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu'il a explosé en 1967, suite à une erreur de manipulation lors d'une tentative de récupération des munitions, il a produit une secousse de 4,5 sur l'échelle de Richter, provoquant une panique à Folkestone et laissant un cratère de 6 mètres de profondeur dans le fond marin.
Selon une étude du New Scientist (de 1970 ?) évoquée en août 2004 par la BBC, une explosion de l'épave du Richard Montgomery provoquerait une gerbe d'eau de plus de 300 mètres de hauteur, une projection de débris jusqu'à environ 3 km de hauteur dans le ciel, et un mini raz-de-marée de 4 à 5 mètres de haut. Rien que le TNT présent dans ce bateau correspond à 1/12e de la puissance d'une bombe atomique telle que celle larguée sur le Japon. Ce serait la plus forte explosion non nucléaire qu'il y ait jamais eu (selon l'auteur d'un article du New Scientist). La plupart des vitres de la ville de Sheerness, à 2 km de là seraient cassées et des bâtiments seraient endommagés par le souffle. En 2004, le ministère anglais des transports a précisé qu'une étude de risque était en cours. L'épave s'est cassée en deux et semble stabilisée. Les experts commissionnés estiment qu'il est moins dangereux de ne pas y toucher que d'y toucher, mais les rapports n'évoquent pas ou peu les risques pour l'environnement. Certaines munitions contiennent de l'azoture de plomb qui est un explosif primaire devenu commun lors de la Seconde Guerre mondiale, en remplacement du dangereux fulminate de mercure. Ce produit est également toxique mais plus stable et très peu soluble dans l'eau. Cependant, au contact de vapeur d'eau (et non d'eau liquide qui ne le solubilise pas), il peut de produire de l'acide azothydrique (HN3[1]) qui outre qu'il est un poison violent, explosif à température et pression ambiantes, est lui soluble dans l'eau. En solution, il peut se disperser dans la mer, mais également s'il est piégé dans une munition attaquer et dissoudre certains métaux (dont le cuivre, le laiton, le zinc et l'acier) en produisant des sels instables, explosifs (et toxiques). Certains craignent une production de cet acide, qui pourrait ainsi produire de l'azoture de cuivre instable et explosif susceptible en cas de choc de déclencher une explosion en chaîne.
D'autres estiment que l'eau devrait dégrader les munitions après un certain temps et que l'azoture de cuivre a de fortes de chances d'être solubilisé et dispersé dans la mer en cas de corrosion suffisante pour que de l'eau puisse entrer dans les munitions. Plusieurs articles évoquent aussi le risque terroriste.
À Halifax, lors de la Première Guerre mondiale, l'explosion d'un navire contenant des munitions dans un port avait déclenché un véritable raz de marée qui a dévasté une partie du port et de la ville.
[modifier] Profondeur
Les munitions récupérées après 1935 sont surtout des obus de moyen calibre et des bombes.
Celles récupérées en 1914-1919 étaient essentiellement des obus non explosés trouvés dans les 30 premiers centimètres du sol. Mais cette guerre ayant mobilisé un armement lourd très important, de nombreux obus de gros diamètres ou tirés de loin (les allemands tiraient sur Paris avec des canons géants basés à plus de 200 km de leur cible) se sont enfoncés bien plus profondément, notamment quand ils tombaient avec une incidence proche de la verticale et sur des vases, des sédiments ou sur des matériaux meubles (sable, sols meubles).
[modifier] Toxicité
La dangerosité des munitions, notamment après 1914-1918 peut être liée à leur contenu en gaz de combat, encore actif dans la plupart des cas, même près de 100 ans après l'armistice de 1918 (fin 1918, 1/3 environ des obus qui sortaient des chaînes de fabrication étaient des munitions chimiques !).
Mais mêmes les munitions dites « conventionnelles » sont sources de risque de pollution chronique ou aiguë. (À titre d'exemple chaque obus muni de sa douille contient 2 amorces contenant chacune 2 grammes de fulminate de mercure, soit un gramme de mercure toxique pur). L'enveloppe (chemise) des munitions et en particulier des obus est très robuste, mais non éternelle. L'oxydation et la formation de picrates très instables (à partir de l'acide picrique (qui était l'explosif le plus utilisé dans les obus en 14-18)) rendent ces obus de plus en plus dangereux avec le temps. Les douilles étaient quant à elles remplies de nitrates. Et le cuivre, le cadmium, le zinc, le plomb, l'antimoine, en étaient des composants ou contenus classiques des munitions conventionnelles. l'arsine a été très utilisée dans les obus chimiques. Ce sont des polluants majeurs aux doses où ils sont présents dans ces munitions. De plus la toxicité de ces produits est synergiquement exacerbée.
Les changements climatiques attendus pourraient à la fois exacerber les risques d'inondations de zones de dépôts enterrés, et d'incendies de forêts de guerre.
Plus récemment les nouveaux explosifs ou carburants gazeux, liquides ou solides de fusées et missiles ont introduit de nouveaux polluants dans l'environnement. Le perchlorate (composant pyrotechnique et carburant de fusées, roquettes ou missiles) a significativement pollué les sols de terrains militaires d'exercice et les nappes d'eau potable, par exemple sur le Massachusetts Military Reservation (MMR) à Cape Cod dans le Massachusetts (USA).
[modifier] Facteur temps
Il intervient de plusieurs manières :
- La corrosion se produit inéluctablement, plus rapidement en environnement oxygéné et salé, très lentement dans un milieu privé d'oxygène, sec et frais. Au rythme moyen de dégradation des obus de la Première Guerre mondiale, c'est vers 2005 que les premières fuites de toxiques chimiques devraient être constatées sur les munitions immergées. En fait, en mer, des douilles (plus fines) sont déjà trouées depuis plus de dix ans, vidées de leurs contenus (nitrates), ainsi que des bombes non-explosées percées de part en part par la corrosion. Inversement, on sort parfois de sédiments denses et anoxiques des munitions presque intactes sur lesquelles des inscriptions sont encore lisibles.
- Avec le temps les mécanismes pyrotechniques de mise à feu deviennent instables, à cause de la corrosion, mais aussi à cause de phénomènes chimiques : des picrates peuvent se former à partir de l'acide picrique ou le fulminate de mercure des amorces peuvent devenir instables et provoquer des explosions.
- Le temps est aussi un facteur d'oubli. Des archives sont détruites, perdues ou mal exploitées car écrites dans une langue qui n'est pas celle du pays où elles sont gardées. Les hommes qui savaient où ont été immergés ou enterrés des stocks de munitions sont morts.
- Après quelques décennies, des dépôts enterrés peuvent se trouver entourés ou pénétrés par le système racinaire d'arbres qui ont poussé. Le déminage devient alors une opération délicate. De mêmes des animaux fouisseurs tels que micromammifères, lapins, rats peuvent avoir creusé jusqu'à ces dépôts des galeries qui rendent la protection de terre moins efficace en cas de fuite de toxique chimiques.
Remarque : Dans certaines circonstances (ambiance saline, sol acide, phénomène électrique de type anode-cathode...) des munitions modernes semblent se dégrader plus rapidement que certaines munitions de 1914-1918. C'est donc au cas par cas que les études de risque doivent se faire.
[modifier] Statut juridique
Ces munitions ont été utilisées par et contre de nombreux pays et coalitions.
Elles répondent à la définition juridique des déchets toxiques et/ou dangereux, mais pour lesquels il est difficile de rétrospectivement désigner des responsables. Alors que le droit de la guerre a toujours évité de traiter ce type de séquelles, le principe pollueur-payeur est inapplicable, et il n'existe pas encore d'instance internationale spécifiquement dédiée à la résolution de ce problème.
Jusqu'en 2005, le problème des impacts environnementaux et de santé-environnement était peu connu. Il semble n'avoir été étudié que par de rares spécialistes et plutôt pour les munitions perdues ou stockées sur terre ou pour la seule Mer Baltique. Depuis la parution d'une carte dressant la liste de nombreux sites littoraux d'immersion de munitions actives pour l'Europe de l'Ouest, l'attention du public a maintenant été portée vers les dépôts immergés dont les obus devraient commencer à fuir vers 2005. Cette fois, la complexité du problème est accrue par le fait que certains toxiques peuvent être emportés par le courant, avec des impacts dans un autre pays (Par exemple, la chloropicrine qui a la consistance d'huile de machine à coudre sous l'eau peut être emportée très loin par le courant, en restant toxique). Un tsunami, même petit comme il peut s'en produire à partir d'un séisme tel qu'attendu tous les 100 à 200 ans en Manche/Mer du Nord pourrait balayer un dépôt sous-marin tel que celui de Zeebrugge. Qui serait alors responsable des conséquences ?
Le Protocole V de la Convention sur certaines armes classiques adopté en 2003 et entré en vigueur le 12 novembre 2006 sur les restes explosifs de guerre concernant les munitions non explosées exige que les parties à un conflit armé procèdent à l’enlèvement de toutes les munitions non explosées [2].
[modifier] Solutions
Diverses solutions techniques ont été développées pour les obus trouvés ou stockés à terre, des usines de démantèlement existent dont en Belgique et en Allemagne, mais le projet français d'usine de démantèlement ('Projet Sécoia') a plusieurs fois été repoussé. La Belgique a proposé une solution européenne commune qui tarde à émerger.
Concernant les dépôt sous-marins et les épaves non déminées, la situation est plus complexe et critique, voir l'article consacré à ce sujet.