Thanatopraxie
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La thanatopraxie, aussi dénommée art restauratif en Belgique, est le terme qui désigne les méthodes modernes de conservation de défunts. Elle semble apparaître en France dans les années 1960. C'est une technique en pleine expansion : Pour environ 400 soins de conservation en France en 1963, ce sont environ 100 000 thanatopraxies qui auraient été effectuées en 2003 dans ce pays. Selon les chiffres les plus élevés, dans les futures années, 30% des cadavres seraient traités chaque année, avec des taux très variables selon les régions et les populations concernées (urbaines, rurales, de culture proche des traditions ou non, ...).
[modifier] Objectif
La thanatopraxie peut avoir différents objectifs :
- ré-humaniser le cadavre pour faciliter le deuil de ses proches,
- permettre une mise en attente du cadavre par manque d'officiant religieux, en raison d'attentes plus longues aux crématoriums, ou enfin pour la conservation d'un cadavre devant être transporté vers un pays lointain (contrainte légale).
Dans tous les cas il s'agit de limiter provisoirement le processus naturel de putréfaction qui se met en œuvre dès la mort.
Les soins de thanatopraxie, en France, sont souvent conseillés par les sociétés de pompes funèbres. Parfois ils sont légalement obligatoires (entre la 24ème heure et la 48ème heure après le décès si l'on doit déplacer le corps du défunt sans mise en cercueil) ou au contraire légalement interdits en fonction des causes du décès. Certaines religions (mulsumane, israélite, orthodoxe et bouddhique notamment) opposent une interdiction religieuse n'ayant pas force de loi dans les cas visés par le règlement, pour des raisons évidentes de santé publique. Lorsque la thanatopraxie est réalisée par un service extérieur aux pompes funèbres ce dernier doit proposer la liste des thanatopracteurs de la région avec leurs tarifs (ce qui est rarement le cas...).
La majorité des pays européens interdisent la thanatopraxie lors d'une cérémonie avec crémation. Les produits formolés, à haute température, sont sources d'émission de dioxyne dans l'atmosphère.
[modifier] Origine du mot
« Thanatopraxie » est un néologisme découlant des mots « Thanatos » (θανατος, divinité grecque de la mort) et « prattein » (exécuter une opération manuelle au sens d'opérer). Il s'agit donc d'une chirurgie (au sens étymologique du terme) post-mortem.
Le mot fut crée vers 1950 par André Chatillon pour désigner les soins visant à la conservation du corps d'un défunt. En France et dans de nombreux pays européens, jusqu'au milieu des années 60, ce sont des médecins qui pratiquent les "embaumements".
Remarque : Les francophones réservent de plus en plus le terme embaumement aux pratiques de l'antiquité ou à des soins visant une conservation de longue durée (ex : le cadavre de Lénine).
[modifier] Thanatopraxie et croyances religieuses
- La religion islamique l'interdit (sauf pour le rapatriement d'un cercueil vers certains pays).
- La religion chrétienne (catholiques, protestants) acceptent la thanatopraxie.
- La religion juive la tolère, sous certaines conditions (uniquement pour le retour du cercueil en Israël).
- Le Bouddhisme ne l'accepte pas.
[modifier] Acceptation ou non acceptation selon les pays
Selon l'AFIF, l'injection d'un biocide formolé concernerait environ 3% des défunts d'Europe. C'est au Royaume-Uni et en France métropolitaine que cette pratique s'est essentiellement développée. Elle est rare en Allemagne, Espagne, Irlande ; quasi-inexistante en Autriche, Grèce, Italie, Malte, Portugal, Suisse et interdite ou non utilisée en Belgique, Danemark, Hollande, Luxembourg, Pays Scandinaves (hors traitement obligatoire pour rapatrier un cercueil vers certains pays).
[modifier] Le thanatopracteur
Dans les pays développés, la thanatopraxie est exécutée par un technicien spécialisé, le thanatopracteur ; indépendant ou salarié d'une entreprise dédiée à la thanatopraxie, aux pompes funèbres ou à la fourniture de fluide d'embaumement.
Il est normalement issu d'une école spécialisée et a obtenu un diplôme national lui permettant d'intervenir sur le cadavre, après constat de décès, signature du certificat de décès par un médecin, et après demande expresse de la famille et autorisation de réalisation de « soins ».
À titre d'exemple, en 2005, il y aurait en France environ 700 thanatopracteurs, effectuant ces soins pour environ 20% des décès.
Cette profession (relativement physique), d'abord masculine, tend à se féminiser.
[modifier] Formation
Le métier nécessite une acceptation de la mort, et fait appel à de nombreuses notions d'anatomie, de médecine légale, toxicologie, histologie, anthropologie, hygiène et sécurité, ainsi qu'à la réglementation funéraire en vigueur, etc.
Il existe en France un Diplôme national de thanatopraxie, et la pratique du métier nécessite une habilitation préfectorale. Une autorisation municipale préalable est obligatoire à tout travail de conservation sur le corps défunt.
Il y a plusieurs écoles, qui n'ont pas uniformisé leurs programmes d’enseignement (hormis les 150 heures de théorie et 100 opérations sous l’égide d’un praticien diplômé, définies en Conseil d’État). Les fiches de sécurité, les études toxicologiques et épidémiologiques ne sont pas facilement disponibles, et ne le sont notamment pas pour les élèves et stagiaires en formation, ni pour la plupart des professionnels.
[modifier] Mode opératoire
Les soins de thanatopraxie apportés commencent par le déshabillage, le nettoyage et la désinfection externe du défunt.
Puis le thanatopracteur, qui opère généralement seul, injecte un premier produit antiseptique et aseptique essentiellement à base de formol, à raison d'environ 6 à 10 litres, par l'une des nombreuses artères du corps humain (principalement : carotide primitive, humérale ou fémorale) qu'il a préalablement rendu accessible par une incision. cette opération a pour but d'une part de stopper l'évolution bactérienne envahissante et d'autre part, de freiner la destruction cellulaire, conduisant à la thanatomorphose (décomposition).
En outre, l'injection est associée à une évacuation des liquides physiologiques hautement bactériens (lesquels seront par la suite obligatoirement incinérés avec preuve de traçabilité).
Il draine aussi les gaz qui ont pu s'accumuler dans le corps. Il procède à l'injection du liquide de cavité. Il suture des incisions et procède au méchage des orifices naturels. Il nettoie et range ses instruments.
Selon l'état de décomposition, et la durée de conservation recherchée, il utilisera des produits plus ou moins concentrés en formaldéhyde (de 16 à 35%). À faible dose, ces biocides préservent les tissus, à forte dose, ils les fixent et raffermissent.
Le processus se conclut environ une heure quinze ou une heure et demie plus tard, après l'habillage du défunt et un dernier maquillage au moyen de cosmétiques adaptés (fond de teint, fards, poudre) avant sa présentation en salon funéraire ou au domicile. Il arrive que l'on demande au praticien de faire un moulage du visage du défunt, et certains d'entre eux sont capables de mouler ou reproduire des parties de corps disparues dans un accident ou suite à la maladie.
Outre l'efficacité de la technique quant à la conservation des corps , elle permet aux familles de veiller un corps aseptisé (environ 90% de germes en moins) diminuant par là les risques sanitaires ; et enfin, par l'image du mort que la Thanatopraxie re-conditionne voire recrée, ne serait-ce qu'à l'aide d'artifices, elle facilite considérablement le travail de deuil.
[modifier] Dangers liés au métier
Outre les risques sociopsychologiques liés au contact avec la mort et avec des corps parfois fortement endommagés, ainsi qu'à une relative solitude et au contact avec la souffrance des proches du défunt, le thanatopracteur est en contact direct et permanent avec des corps qui peuvent être ceux de malades graves.
Le thanatopracteur est exposé à 3 types de danger, qui s'additionnent :
- la toxicite des produits biocides utilisés, et leur relative volatilité (méthanol, formaldéhyde cancérigène, etc.). Dans une pièce fermée sans ventilation, la situation est jugée inacceptable du point de vue du risque toxicologique, dès la seconde injection. Dans les salles de préparation le risque est moindre, mais il faut une ventilation basse et non haute, ce qui n'est pas toujours le cas. On peut enfin se demander s'il y a des impacts écotoxicologiques à l'envoi dans l'atmosphère de l'air aspiré ;
- les instruments piquants ou tranchants (pouvant être source d'infections) ;
- les fluides biologiques ou excrétats qui peuvent contenir des agents infectieux, avec un risque nosocomial plus élevé en raison du fait que de nombreux patients ont reçu de longs traitements médicaux, ou ont été hospitalisés dans des services à risque nosocomial avant leur mort. Le VIH (Sida), le virus de l'hépatite C (la vaccination des thanatopracteurs contre l'hépatite B est obligatoire) voire les prions sont sources de risques et dangers qui peuvent préoccuper les praticiens, de même que le bacille de Koch de la Tuberculose (qui aurait infecté 15 % des thanatopracteurs en Amérique du Nord) ou le virus grippal, en particulier dans un contexte pré-pandémique possible de la grippe aviaire. Encore une fois la pratique en salle de préparation présente théoriquement moins de risque, mais nécessite d'y déplacer le malade.
Le risque d'exposition à ces dangers est moindre dans une salle de préparation, mais l'opération doit souvent se faire chez l'habitant, dans un cas sur deux estiment les dernières études en France. En moyenne un soin sur deux serait effectué sans équipement doté d'aspiration contrôlée et/ou permettant la protection du praticien.
Il existe des fiches de prévention contre certains risques, dont celui de l'exposition au formaldéhyde[1].
La thanatopraxie serait en France pratiquée à :
- 39% dans les chambres funéraires ;
- 24% dans les chambres mortuaires ;
- 23% au domicile ;
- 7% dans les cliniques ;
- 5% dans les maisons de retraite ;
- 2% dans d'autres lieux.
[modifier] Thanatopraxie et environnement
Avec une population issue du baby boom qui vieillit, et à raison de 50 millions de morts prévisibles en France pour les décennies qui arrivent, sans même évoquer les risques croissants de catastrophes climatiques (inondations, canicules, sécheresses, tempêtes, glissements de terrains d'occurrences croissantes), de catastrophes sanitaires (cf. notamment risque pandémique de type grippal ou autre) les problèmes environnementaux, écoépidémiologiques et sanitaires posés par la mort ne sont pas négligeables.
La pression foncière et la périurbanisation augmentent. Elle pousse les grandes villes à supprimer les concessions à perpétuité par manque de place (sur 10m², on ne loge que 4 cercueils, contre 200 urnes (mais la crémation a une empreinte écologique non négligeable, de par la consommation de bois ou de ressource fossile qu'elle implique, et à cause de la pollution par les émissions). Et de nouveaux problèmes se posent.
En particulier, les corps des défunts arrivent souvent au cimetière ou au crématorium après une longue période de traitements médicaux, avec des amalgames dentaires nombreux (riche en mercure et métaux toxiques) et parfois après avoir été embaumés.
[modifier] Les déchets de soins
Solides ou liquides, ce sont des produits non inertes et dangereux, dits DASRI (Déchet d’Activité de Soin à Risque Infectieux). Ils doivent être manipulés, étiquetés et transportés comme tels.
Ils sont soumis à réglementation européenne traduite dans le droit des états membres, ce qui implique leur élimination par une filière agréée, définie en France par un décret du Conseil d’État.
Remarque : Les fluides corporels gélifiés poseraient moins de risque en cas d'accident.
[modifier] Cas d'interdiction pour raisons sanitaires (sous réserve de modification)
En France, la conservation par injection d'un produit formolé est interdite pour les décès avec obstacle médico-légal, les accidents du travail ou résultant d'une maladie professionnelle, et en cas de certaines affections définies par l'Arrêté du 20 juillet 1998 :
- Charbon ;
- Choléra ;
- Fièvres hémorragiques virales ;
- Hépatite virale ;
- Maladie de Creutzfeldt-Jakob ;
- Peste ;
- Rage ;
- HIV (Sida) ;
- Variole et autres orthopoxviroses ;
- Tout état septique grave (sur prescription du médecin traitant ou ayant établi le certificat de décès).
En France, un arrêté du Conseil d'État (8 novembre 1999) a à nouveau autorisé la thanatopraxie pour :
- les états septiques graves ;
- les Hépatites A confirmées ;
- la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
- Pour le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère), la mise en bière immédiate a été conseillée, et les soins de conservation déconseillés. En cas de pandémie grippale, induite par exemple par la grippe aviaire : la mise en cercueil doit être faite sans délai sur le lieu de la mort ou du transport des cadavres (chambre froide, etc.) tout soin de conservation étant interdit.
[modifier] Alternatives
Des pratiques anciennes, éprouvées et moins onéreuses peuvent être utilisées pour la conservation du corps : 1) le mise en place de glace carbonique (carboglace) qui congèle le corps. 2) Un lit ou d'une rampe rrefrigérante peuvent être mis à disposition.
(La famille peut aussi choisir une simple toilette funéraire qui sera effectuée par un thanatopraticien. Bien qu'elle n'offre pas les garanties d'un soin de conservation, elle visera néanmoins une aseptie complète du corps suivie d'une restauration tégumentaire faciale (ligature des maxillaires), puis d'un habillage.
La toilette sera dite mortuaire lorsqu'elle sera réalisée par un agent hospitalier. Celle-ci consiste alors en un seul lavage du corps. Une restauration tégumentaire sera possible en présence d'un chirurgien (cas des corps autopsiés).
Enfin, elle est dite religieuse lorsqu'elle est effectuée par un religieux de la communauté musulmane ou israélite.
Les toilettes mortuaires et religieuses n'étant pas des actes de thanatopraxie, elles ne réunissent pas les garanties sanitaires minimales requises pour les endeuillés présents autour d'un défunt.
[modifier] Conclusion
Peu de données sont disponibles sur la pratique de cette activité dans le monde, et sur les risques y afférant. Les thanatopracteurs semblent sous-estimer la gravité des dangers auxquels ils sont exposés et le décret qui cadre l'examen de thanatopraxie ne définit pas le niveau d'hygiène et de sécurité relatif aux soins de conservation. Les écoles qui forment à ces métiers intégrent ces aspects dans leurs formations, mais sans code de bonne pratique, et sans socle commun minimal.
Tout cadavre devrait être considéré comme à « risque infectieux », par précaution, même si le certificat de décès ne mentionne pas de maladie. Il est recommandé aux praticiens et aux familles et proches de respecter les précautions d'usage, en particulier l'aération de la pièce dans laquelle sont faits les soins et où reposera le défunt.
Les études de risques concluent qu'il serait préférable d'interdire la pratique de ces soins au domicile (la concentration en formaldéhyde, reconnu cancérogène pour l'homme, peut y être deux fois supérieure à la valeur limite) ou hors des salles de préparation spécialement conçues. Le protocole et les salles de préparation peuvent être améliorés.
[modifier] Télévision
Une série télévisée Six Feet Under, récompensée aux États-Unis dans la catégorie "drames", relate la vie de personnages liés à l'entreprise funéraire Fisher&Sons, dont ses deux thanatopracteurs. Chaque épisode se base sur la mort d'un inconnu, dont on suit parfois les soins ou les rites funéraires.
[modifier] Voir aussi
[modifier] Bibliographie
- L'art de l'embaumement ; Introduction à la thanatopraxie par Eric Bourgeois, Editions Berger (Canada) (diffusé en Euope par DG Diffusion rue Max Planck BP 734 31683 LABEGE)
- "L'embaumement : théorie et pratique" ; Guide technique de thanatopraxie, par E.F. Scudamore (F.B.I.E) : Ouvrage de base, destiné à la formation théorique des thanatopracteurs. (Diffusé en europe par Raffault)
[modifier] Notes et références
[modifier] Liens externes
- (fr) Informations diverses, de l'AFIF, sur le sujet
- (fr) les risques liés aux produits biocides (Mémoire d'ingénieur CNAM 2004)
- (fr) Législation, Lieux de formation en France
- (fr) association française d'information funéraire
- (fr)Thanatorama, un webdocumentaire sur l'univers de la mort : Présente le métier de thanatopracteur à travers un documentaire sur l'univers du monde funéraire