Stenterello
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[modifier] Pinocchio et le répertoire de Stenterello
La question des rapports entre le répertoire théâtral de Stenterello et Lorenzini, en ce qui concerne Pinocchio nécessite une mise au point. Il est certain que, comme tout bon florentin, Collodi connaissait très bien ce répertoire en tant que spectateur. Mais il le connaissait encore plus parce qu'il lui passait entre les mains en Préfecture. Il était en effet chargé de l’approbation (obligatoire) des manuscrits des comédies qui devaient être jouées en public. Avec la renommée d’homme de lettres qu’il avait, personne plus que lui n’était apte, parmi ces fonctionnaires préfectoraux, à lire les textes et les scénarios présentés à la « censure » (il s’agissait en effet de censure même si elle pouvait être libérale et débonnaire). On peut d’ailleurs voir sur un de ces manuscrits : il s’agit de Stenterello et Sa Fille - Comiques Ambulants, comédie en 5 actes, (mais ils en existent beaucoup d'autres), en une bonne et désinvolte écriture cursive, sur des feuilles rayées, in octavo, relié dans un dossier de 62 pages, en frontispice, au nom du préfet, l'autorisation à donner les représentations signée de Carlo Lorenzini : « Florence le 5 Juin 1870 - pour le préfet - C. Lorenzini ».
L'histoire de Stenterello est plutôt complexe. Le personnage fut inventée à la fin du XVIIIe siècle, par Luigi Del Buono (auteur des premières pièces, excellentes bien que méconnues) et repris ensuite par d'autres acteurs dont Lorenzo Cannelli et Augusto Bargiacchi furent parmi les premiers. Ainsi, en 1821 Cannelli acquit auprès de ce même Del Buono les pièces que celui-ci avait représentées avec succès pendant toute sa carrière. Ces acteurs donnèrent vie à un second Stenterello, beaucoup plus serein mais moins vigoureux bien que plus « populaire » au sens moderne du terme. Et pour suppléer à la demande toujours plus grande du public ils écrivirent ou firent écrire d’autres pièces, dans un éloignement continu et régulier du ton initial. Bien vite on arriva à un type populaire (au mauvais sens du terme), qui confina souvent à la superficialité et aux effets faciles. Même les premières pièces de Del Buono, furent manipulées, « modernisées », allongées ou raccourcies. Ils existent encore aujourd'hui des centaines de pièces qui témoignent de ce procéder populaire, et qui vont jusqu'à la fin du XIXe siècle.
Dans les rapports qui existent entre Pinocchio et Stenterello ce ne sont pas les thèmes, les trames, les actions dramatiques qui sont intéressants, mais le style, c'est-à-dire d’une part la progression du tour de phrase, de la réplique, du discours, du monologue et d'autre part, le processus technique ou mieux la formule pour créer une situation. Eh bien l’on constate que es pièces changent après l'apparition et l'énorme succès de Pinocchio. La traditionnelle « stenterellata » est bouleversée à la fin du siècle et apparaît un monde nouveau de rapprochements imprévus, de retournement de situations, de logique "illogique" du pantin et de tout le discours collodien. Naissent des rapprochements d'abord impensables, pour mieux dépeindre Stenterello, la technique de l'absurde primaire, bébête, simplificateur, avec sa cohérence stricte mais toujours appropriée, très efficace surtout en ce qui concerne le résultat comique. Le discours et le mode d'agir de Stenterello deviennent imprévisibles, comme déjà celui de Pinocchio. Les comédies de Stenterello n’étaient pas des chefs-d’oeuvre. On ne s’y intéresse pas dans ce cadre pour leur valeur, mais ces documents ne contredisent pas l’idée que Pinocchio a beaucoup influencé, dans les décennies suivantes, le théâtre de Stenterello et l’on peut même dire le théâtre vernaculaire florentin jusqu’à finalement, Wanda Pasquini, une des interprètes les plus authentiques et aimées de ce théâtre, la mythique « Mère Alvara » ("Sora Alvara") du « Grillon Chanteur » ("Il Grillo Canterino") qui, de l'après-guerre jusqu’à nos jours, a représenté avec tant d'autres acteurs et interprètes influents, Florence et la Toscane.
Les monologues de Pinocchio ne trouvent pas d’équivallent, à l’inverse de ce qui a pu été dit par certains, dans les monologues de Stenterello. Ces derniers sont une autre chose : ce sont des jeux de mots comiques très intellectualités qui ne décrivent aucune action, avec des racines dans le théâtre encore embourgeoisé du XVIIIe. Pour tous, les Stenterello perdurèrent de la sorte en ne changeant ni leur but ni leur style. Les monologues de Pinocchio sont par contre calqués sur les discours ou mieux sur les lettres que pourrait très bien rédiger une simple personne qui se mettrait à écrire en racontant à d’autres ses propres histoires.
Voici à titre d’exemple un monologue de Stenterello : « Je suis sain, jusqu'à point, que d'un coup de poing dans le groin, ce n'est pas un rêve, je tue un fou, ou d'un coup, je l’éclabousse, dans un puits au milieu d’une flaque, et par la pie si je le tord, je te l'étrangle comme une autruche. » Plus évocateur évidemment en italien : « Sono sano, sino a segno, ché di un pugno dentro al grugno, non è sogno, ammazzo un pazzo, o di un cozzo, io lo schizzo, dentro un pozzo in mezzo al guazzo, e pel gazza se lo strizzo, te lo strozzo come un struzzo.”
Mais à la fin du siècle (après Pinocchio) les jeux de mots de Stenterello changent de nature et, se servent du dialogue même si substantiellement le discours du nouveau personnage de Stenterello reste le monologue. A l’examen des situations qui entrent en jeu dans l'action comique de ce nouveau personnage, le renouvellement de Stenterello sur le modèle de Pinocchio ne fait aucun doute. La recherche des sources d'un chef-d’oeuvre comme Pinocchio est donc, semble-t-il, à trouver ailleurs. Stenterello ne fut nullement utilisé ou tellement peu par Collodi, même pas comme matière brute, et encore moins du point de vue de l’expérience unique et singulière de Stenterello. Sur le plan matériel, une source probable pourrait donc être à chercher du côté des fabulistes germaniques...