Mise en abyme
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La mise en abyme ou mise en abysme (on écrit aussi plus rarement[1] : mise en abîme) est un procédé consistant à incruster une image en elle-même, ou, d'une manière générale, à représenter une œuvre dans une œuvre de même type. On y retrouve le type d'« autosimilarité » qui constitue également le principe des fractales ou de la récursivité en mathématiques.
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[modifier] Origine de l'expression
En héraldique, l'abyme (ou abysme) est une petite pièce centrale de l'écu qui ne touche ni ne charge aucune autre ; à l'opposé d'une pièce "sur le tout", elle est réputée être au fond ("abîmée") et est nommée en dernier. Il n'y a toutefois pas d'exemple en héraldique classique que cette pièce reprenne le motif de l'écu.
L'expression utilisée dans le sens sémiologique remonte à André Gide, lequel note dans son Journal en 1893 :
- « J'aime assez qu'en une œuvre d'art on retrouve ainsi transposé, à l'échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre par comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à mettre le second en abyme. »
Peut-être Gide fait-il aussi référence au genre poétique du blason, en vogue au XVIe siècle, dans lequel l'auteur fait une description détaillée d'une personne ou d'un objet.
L'orthographe évoquée dans le paragraphe précédent est sujette à caution ; on peut en effet lire dans Le bon Usage de Maurice Grevisse :
- « Les théoriciens de la littérature ont ressuscité la vieille graphie abyme avec y, spécialement dans la formule mise en abyme, procédé littéraire évoquant le jeu des miroirs. Mais certains estiment que, même dans ce sens, la graphie ordinaire peut convenir : Qui sait si le but d'un tel jeu de miroirs n'est pas de nous donner, par cette réflexion EN ABÎME de Hegel sur Genet, de Genet sur Hegel, le vertige de l'indéfini ? (Chr. Delacampagne, in Le Monde, 3 janvier 1975) ».
Cependant, l'Académie française, dans la neuvième édition de son dictionnaire[1], indique pour l'expression « en abyme » l'orthographe abyme ou abysme et rarement abîme.
[modifier] Procédé artistique
En littérature, la mise en abyme est un procédé consistant à placer à l'intérieur du récit principal un récit qui reprend de façon plus ou moins fidèle des actions ou des thèmes du récit principal, comme dans la pièce Hamlet (voir exemples ci-dessous). Il ne faut pas confondre la mise en abyme avec le récit enchâssé, qui consiste à faire raconter par le personnage d'un récit un autre récit, dans lequel peut apparaître un personnage qui en racontera encore un autre, comme dans les Mille et une nuits.
En arts graphiques, Les époux Arnolfini (Jan van Eyck, 1434, 82 × 60 cm, peinture sur bois, National Gallery, Londres) est un exemple fameux dans lequel un miroir convexe reflète l'ensemble de la scène (y compris le miroir lui-même, et ainsi de suite). On peut également citer l'exemple du dessin de la boîte de fromage en portions « La vache qui rit » : la vache porte des boucles d'oreilles qui elles-mêmes sont des boîtes de Vache qui rit, etc.
Dans certaines œuvres de théâtre et de cinéma, un comédien joue le rôle d'un comédien qui joue un rôle… (procédé appelé communément « théâtre dans le théâtre »).
La mise en abyme est un procédé artistique — ou de réflexion intellectuelle — qui entraîne souvent une sensation de vertige.
[modifier] Utilisation du procédé
Ce procédé permet de créer du trouble dans la convention narrative. Le procédé permet de donner le tournis au lecteur ou à l'auditeur qui rapidement ne sait plus qui parle : l'auteur, Shéhérazade ou un personnage ? Ici, il s'agit de redoubler le trouble du roi qui oublie de se débarrasser de Shéhérazade.
Dans Les Ménines de Diego Vélasquez (voir illustration), le procédé est utilisé de façon paradoxale parce qu'on ne voit pas réellement le tableau qu'il est en train de peindre, ce qui ajoute au trouble : quel est l'objet de ce tableau, le geste du peintre (qu'on ne voit pas peindre mais regarder), l'infante à ses côtés ou encore ce que regarde le peintre et qu'on aperçoit à peine dans le miroir (le roi et la reine), le tableau retourné ?
La mise en abîme peut également jouer le rôle de clin d'œil inséré par l'auteur, ou lui permettre d'engager, sur le mode de l'humour (autodérision), une critique sur sa propre œuvre, voire sur le genre auquel elle appartient.
Frédéric Beigbeder et Milan Kundera sont deux auteurs qui ont l'habitude d'utiliser la mise en abîme pour apporter une réflexion sur leur œuvre que les protagonistes eux-mêmes ne pourraient avoir, puisqu'ils sont prisonniers, trop occupés par ce qui leur arrive.
[modifier] Exemples
[modifier] Images
- Image de La vache qui rit et ses boucles d'oreille.
- Étiquette de l'apéritif Dubonnet du chat qui entoure la bouteille avec une étiquette.
- L'affiche du film Memento.
- Un tableau représentant un peintre en train de peindre ou un autre tableau dans un environnement (Les Ménines de Diego Vélasquez).
- La pochette de l'album de Pink Floyd, Ummagumma.
- La couverture de la bande dessinée Vous n'avez pas honte ? de Dany.
- Une animation montrant une mise en abime : [1]
[modifier] Littérature
- Un roman parlant d'un romancier en train d'écrire un livre (exemples : Je suis écrivain ou Trois jours chez ma mère de François Weyergans).
- Un roman dont le sujet principal est ledit roman :
- Les Fruits d'or de Nathalie Sarraute,
- Les Faux-monnayeurs d'André Gide,
- L'histoire sans fin, de Michael Ende,
- Un aller simple, de Didier Van Cauwelaert,
- Trois jours chez ma mère, de François Weyergans,
- Un cabinet d'amateur, de Georges Perec,
- L'Emploi du temps, de Michel Butor, où le même narrateur superpose des périodes de temps différentes, puis la même période de temps vue à des moments différents
- Noblesse oblige. Condamné pour le seul crime qu'il n'a pas commis, un gentilhomme décrit dans sa cellule ses véritables crimes, et ... y oublie son manuscrit lors de sa libération.
- Dans Le pouvoir des fables, La Fontaine fait l'éloge de ce genre qu'est la fable en introduisant dans son texte une deuxième fable.
- Dans le roman Le Tunnel d'Ernesto Sabato, le peintre a recours à une méthode de mise en abyme dans une de ses peintures. En effet, une fenêtre à l'intérieur du tableau révèle une autre scène, cachée. Celle-ci contient le véritable message de l'œuvre, alors que tout le reste n'est qu'une parure afin de tromper les moins éclairés ;
- Dans son roman Stéphanie Phanistée, Frédérick Tristan met en scène la même femme lors de récits emboités les uns dans les autres.
- Les Fleurs bleues de Raymond Queneau
- Le retour à la terre, bande dessinée de Larcenet et Ferri où les personnages, représentant les auteurs, parlent de mise en abîme en réalisant celle-ci qui parle d'une mise en abîme et où le personnage de Manu ne comprend plus rien... Résultat, Manu se demande si on va rire de lui ou du personnage que dessine le personnage qu'il dessine dans la bande dessinée.
- la mise en abîme est un thème majeur évoqué dans le livre Le Mystère des dieux de Bernard Werber.
- Dans la Recherche du temps perdu de Proust,la deuxième partie du Côté de chez Swann,Un Amour de Swann, qui raconte les déboires amoureux entre Swann et Odette est une mise en abyme de l'histoire d'amour entre le narrateur et Albertine qui se passe tout au long du roman.
[modifier] Théatre, cinéma, télévision
- La tragédie Hamlet de Shakespeare : à l'intérieur de la pièce se joue une pièce de théâtre qui dénoncera l'adultère et le meurtre du père d'Hamlet.
- L'Illusion comique de Corneille qui se révèle être une pièce dans la pièce.
- Six personnages en quête d'auteur de Luigi Pirandello, une pièce théâtrale où les personnages vivent et rencontrent « leurs acteurs », qui devront jouer ces personnages, etc.
- Un film montrant la réalisation d'un film :
- The Player de Robert Altman,
- Prenez garde à la sainte putain de Rainer Werner Fassbinder
- La Nuit américaine de François Truffaut, film qui raconte le tournage d'un film,
- François Truffaut a repris le procédé dans Le dernier métro, qui raconte le montage d'une pièce de théâtre sous l'Occupation : plusieurs acteurs jouent à la fois leurs personnages et les personnages qu'ils sont censés interpréter dans la pièce et nombre de répliques des derniers peuvent s'appliquer aux premiers ; jusqu'à la pirouette finale : l'acteur et résistant incarné par Depardieu est blessé "dans la vraie vie" à la Libération, son amante l'actrice et directrice de théâtre jouée par Catherine Deneuve vient à son chevet à l'hôpital et lui annonce la mort de son mari et, dans la seconde qui suit, tous trois se relèvent pour saluer : ils jouaient dans une nouvelle pièce. Clins d'œil du côté de l'Illusion comique et de La Nuit américaine, qui sont autant de nouvelles mises en abîme.
- La Maîtresse du lieutenant français de Karel Reisz
- Sex is comedy de Catherine Breillat,
- Certains opus de la série Freddy
- La série télévisée Stargate SG-1 s'auto-parodie en intégrant dans l'intrigue de plusieurs épisodes une série de médiocre qualité intitulée Wormhole X-Treme! (ce n'est cependant que l'exemple le plus frappant, les scénaristes étant coutumiers de ce type d'allusions).
- Le film Scream 2 parodie le premier opus de la trilogie, Scream sous la forme d'un film de série B : Stab.
- Dans certaines séries télévisées, il arrive que les personnages écoutent ou chantent la musique du générique ; par exemple dans Les Simpson : (Homer : Bart ! arrête de siffler cette chanson débile !)
- Dans le film Nous étions libres l'héroïne Gildas, jouée par Charlize Théron, joue un rôle dans un peplum que l'on aperçoit au cinéma.
- Dans le film Spaceballs, où l'équipage regarde la vidéo du film et arrive au moment où "maintenant est en train d'arriver".
- A la scène d'ouverture du film Team America le spectateur se voit offert une marionnette actant devant un mur dessiné de Paris, puis la caméra se décale nous montrant que l'on est "vraiment" à Paris.
- Dans le film Sueurs froides d'Hitchcock (Vertigo dans la version originale) où le personnage de Madeleine est une représentation de la mystérieuse Carlotta du tableau mais est aussi Judy qui jouait le rôle de Madeleine lors l'horrible machination. L'ironie du sort fait que le protagoniste principal la transformera en Madeleine.
[modifier] Divers
- The Infinite Cat Project : des chats qui regardent des chats qui regardent des chats...
- Le jeu sur PC Wing commander (simulateur de vol avec batailles) comporte lui-même dans la salle des pilotes un simulateur de vol sur lequel les pilotes peuvent s'entraîner à piloter leurs appareils.
- Les poupées russes.
- Plusieurs miroirs disposés les uns en face des autres (galerie des glaces).
- Une caméra braquée sur son moniteur vidéo.
- Les acronymes récursifs, procédé répandu dans le monde du logiciel libre : la licence GNU signifiant « GNU is Not Unix », PHP pour « PHP Hypertext Preprocessor »...
- Dans L'Être et le Néant, Jean-Paul Sartre nous entretient un temps sur la capacité que possède l'être humain d'être conscient de son existence, puis sur la possibilité d'être conscient que l'on est conscient. Il nous prévient ensuite qu'il est préférable de s'arrêter à ce niveau de conscience pour toute étude philosophique, puisque tout niveau supérieur (i.e : la conscience d'être conscient d'être conscient), nous éloigne en quelque sorte de l'étude de la conscience elle-même.
- Dans le jeu vidéo RPG Planescape: Torment, il est possible de trouver un accès à un Dédale. Ce dédale caricature une expérience qui n'est autre qu'un jeu de rôle. Cette caricature est d'autant plus forte que le jeu original est axé réflexion et lecture de dialogues, tandis que le jeu intérieur est un Hack and slash.
- Vidéo montrant le générique du Zapping de Canal+ à l'intérieur de la mise en image particulière de ce même Zapping.
[modifier] Références
- Lucien Dällenbach, Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil, 1977.
- Article "Mise en abyme" dans le Dictionnaire international des termes littéraires