Mars 1968
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Mars 1968 (8-23 mars 1968) est une crise politique polonaise commencée par des manifestations d'étudiants à Varsovie, Gdansk, Cracovie et Poznan, brutalement réprimé par la Milicja Obywatelska (milice citoyenne) et l'Ochotnicza Rezerwa Milicji Obywatelskiej (réserve volontaire de la milice citoyenne).
[modifier] Genèse et contexte historique
L'Octobre polonais de 1956 avait apporté au pays beaucoup d'espoirs. Les changements réformateurs initiés par Władysław Gomułka lors du VIIIème plenum du Comité Centrale du Parti ouvrier unifié polonais, comme l'amnistie pour les prisonniers politiques, l'amélioration des relations avec l'église, la limitation de la censure n'apparurent au final que comme une illusion de changement. La nouvelle direction n'avait pas l'intention de réaliser les changements voulus par la société, et les réformateurs d'octobre ne voulaient que reculer un moment tactiquement, poussés par les événements compliqués se déroulant à l'intérieur du pays.
Dès la fin de 1956, Gomułka attaquait les réformateurs et leur programme de libéralisation du système communiste. Les dix années suivantes furent un arrêt et un retour en arrière par rapport aux acquis d'octobre. De nombreux changements de personnels eurent lieu dans le parti, l'intelligentsia des journaux "Po prostu" ainsi que "Przegląd Kulturalny" fut liquidé, l'appareil politique fut reconstruit, la censure alla de plus bel, les relations avec l'église retendues, ce qui fut confirmé par l'arrêt de l'enseignement religieux à l'école.
Les changements en Pologne vont être influencé pendant l'été 1967 par l'explosion de la Guerre des Six Jours. Le POUP va blâmer Israël et rompre les relations diplomatiques; tout comme le gouvernement polonais. Des meetings vont être organisés dans les entreprises, dénonçant l'impérialisme juif. Une ambiance hostile aux juifs va se mettre en place dans le parti, dans la milice et dans l'armée, au sein des cercles catholiques de l'Association PAX. L'église, dont le cardinal Stefan Wyszyński eut une attitude plutôt pro-israélienne, comme la majorité de la société polonais. Quelques polonais d'origine juive manifestèrent leur soutien à l'action de l'armée israélienne.
L'ambiance sociale en Pologne obligea l'URSS à mettre en place un certain nombre de directives pour le parti polonais, afin qu'aucune manifestation hostile à l'Union soviétique n'ait lieu. Władysław Gomułka, suivant la diplomatie pro-arabe soviétique, déclara ainsi lors du VIème congrès du Syndicat professionnel polonais déclara qu'il n'y avait pas de Vème colonne pro-sioniste en Pologne, qui acceptait et appuyait l'agression israélienne sur les États arabes. Il déclara aussi, que "l'agression israélienne est le résultat du complot le plus réactionnaire des forces impérialistes internationales".
Le discours de Gomułka ouvrit la porte au courant des "partisans", fraction du Parti aux accents nationaliste et populiste, regroupée autour du général Mieczysław Moczar (ministre des affaires intérieures à partir de 1964). Ce courant attaquait les "sionistes" à toute occasion, meeting ou conférence. Moczar comparait le comportement de l'armée israélienne aux méthodes utilisées par les nazies pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le courant accusait les employés d'origine juive d'abus/double-jeu au sein du Ministère de la Sécurité intérieure polonais. Bolesław Piasecki, du PAX, rejoignit les partisans, attaquant quant à lui les "révisionnistes" et autres "cosmopolites", ainsi que l'épiscopat.
Cette ambiance politique favorisa le développement de sentiments antisémites au sein du parti, des travailleurs et de la population en général. Une épuration des structures de l'état polonais eut lieu, au sein de l'armée (en 1967, près de 200 officiers de haut rang, ainsi que 14 généraux furent licencies sous la direction de Wojciech Jaruzelski), la milice, la défense et d'autres institutions. Les gens d'origine juive ou exprimant une quelconque sympathie pro-juive furent licenciés, dégradés et remplacés. L'épuration toucha aussi les grandes écoles. Les professeurs d'origine juive furent licenciés. La politique répressive du Parti eut lieu en même temps que les événements de Tchécoslovaquie, la tentative de libéralisation initiée par Alexander Dubček pendant le Printemps de Prague.
[modifier] "Dziady" et manifestations
L'étincelle de l'explosion de mars fut la manifestation étudiante devant le monument d'Adam Mickiewicz à Varsovie (30 janvier 1968) contre l'annulation par la censure du spectacle "Dziady" du metteur en scène Kazimierz Dejmek, joué au Théâtre National de Varsovie. Après les quatre premières représentations, Dejmek fut informé qu'il ne pourrait jouer la pièce qu'un fois par semaine, il ne lui est pas permis de vendre plus de 100 tickets aux jeunes écoliers, le metteur en scène devait aussi faire un rapport sur la réaction du public.
Le 16 janvier, il fut informé que le 30 serait la dernière représentation. A ce spectacle (onzième représentation), le public était majoritairement étudiant. La représentation fut coupée maintes fois par des applaudissements. A la fin du spectacle, un slogan était scandé "Indépendance sans censure" ("Niepodległość bez cenzury"), pensé par Karol Modzelewski. Des cris de "Nous voulons la culture sans la censure !" ("Chcemy kultury bez cenzury!") furent scandés. A la sortie du théâtre, une vingtaine de personnes (en majorité des étudiants) se mirent en marche vers le monument d'Adam Mickiewicz avec comme revendication "Nous voulons d'autres représentations" ("Żądamy dalszych przedstawień"), qui rassemblèrent les gens autour du monument. La MO (Milice citoyenne) n'était pas intervenu dès le début, mais après quelques minutes, elle cassa la manifestation à coup de matraque et arrêta 35 manifestants, dont 8 furent jugé responsables. Deux étudiants de l'Université de Varsovie, sur l'avis du ministre de l'éducation Henry Jabłoński, perdirent leur statut d'étudiants pour avoir parlé des événements à des journalistes de la presse française. Ces deux étudiants étaient Adam Michnik et Henryk Szlajfer.
[modifier] Les réactions face à l'événement
Les événements furent relatés dans la presse internationale, entre autres le "New York Times", le "Washington Post" ainsi que "Radio Libre Europe". Une guerre de prospectus commença, initiée par le texte "Le sens politique de la pétition dans l'affaire Dziady", texte des "révisionnistes" (membres du parti, critiquant la politique du Parti comme étant éloigné du véritable socialisme), Jacek Kuroń et Karol Modzelewski. Les étudiants de Varsovie et de Wrocław s'organisèrent en groupe, collectant de l'argent pour le paiement des amendes, faisant signer des pétitions destinées au gouvernement et à l'Union des Ecrivains Polonais.
Le 22 février, les organisateurs du mouvement étudiant prirent la décision d'organiser une réunion pour la défense des étudiants Michnik et Szlajfer, pendant la semaine de réunion de l'Union des Ecrivains Polonais. En accord avec le programme, la réunion devait avoir lieu le 29, et la date de la réunion à l'Université de Varsovie tomba le 8 mars à midi. A la surprise générale, l'UEP vota pour la résolution d'Andrzej Kijowski, dans laquelle la politique culturelle du régime était dénoncée, revendiquant la fin de la censure et le retour à la liberté de création. Le régime ne pensait pas à contrer cette résolution mais s'engagea plutôt dans l'arrestation des meneurs du mouvement étudiant. Le 8 mars, le matin, Szlajfer, Seweryn Blumsztajn, Jan Lityński, Modzelewski et Kuron furent attrapés. Le jour suivant, Michnik fut arrêté.
Pendant ce temps-là, à 12:100, une manifestation a lieu à l'Université de Varsovie. Des tracts sont distribués, faisant référence à l'article 71 de la Constitution de la République Populaire Polonaise et ils faisaient appel à la défense des libertés individuelles. Les manifestants applaudirent les revendications, parmi lesquelles la levée des sanctions contre Michnik et Szlajfer ainsi contre les autres étudiants ayant eu des sanctions disciplinaires. Le meeting se déroula dans le calme. Le meeting fut néanmoins interrompu par l'action brutale des forces du ZOMO ainsi que des milices ouvrières, qui, venant des usines, pénétrèrent l'université. Les étudiants qui rentraient chez eux furent attaqués à coup de matraques. En solidarité avec les victimes de la répression, les étudiants de Polytechnique de Varsovie manifestèrent, et dans certains endroits de la capitale, des affrontements et arrestations eurent lieu. L'atmosphère révolutionnaire s'étendit à toutes les écoles de Varsovie, et par la suite, dans tout le pays. Des meetings étudiants eurent lieu à Wrocław, Łodz, Cracovie, Poznań, Toruń et Gdańsk.
La situation n'était cependant pas suffisamment grave pour remettre en cause la politique du parti, le mouvement étudiant n'ayant pas été rejoint par le mouvement ouvrier. Le 11 mars, le parti décida l'organisation de meeting de masse dans les usines afin d'appuyer la politique du régime dénigrant le mouvement des jeunes avec comme slogan "les étudiants étudiez, les écrivains écrivez et les sionistes rentrez à Sion." Le pouvoir cherchait ainsi à détourner l'attention du public et les diriger vers des sentiments antisémites d'autant plus que certains leaders avaient des noms sémitiques (Szlajfer, Blumsztajn, Dajczewand, Blajfer). Des liens furent fait entre les spectacles "Dziady" et la Vème colonne sioniste, ayant la volonté de renverser le régime communiste. Le général Moczar et sa faction eurent un important rôle dans la mise en place de la politique antisémite du régime, qui utilisèrent chaque occasion afin de dénoncer les personnes dont les noms avaient une consonance juive comme ennemis de l'Etat.