Jean de Bosschère
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Jean de Bosschère (1878 - 1953) est un écrivain et peintre, d'origine belge. Ce « paria » des lettres françaises est mort, laissant une œuvre multiple (romans, poèmes, essais, journal, peintures, dessins, sculptures...). Admiré par les plus grands, pratiquement inconnu de public, il a traversé les grands mouvements littéraires du siècle sans s'y attarder, plus enclin à arpenter « les ténébreuses frontières de l'humain » qu'à se mêler à la foule.
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[modifier] Biographie
L'amitié et la solitude ont été les deux versants de l'attitude de Bosschère devant la vie. Toutes ses amitiés importantes, notamment avec André Suarès, Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz, Gabriel Bounoure, Jacques Audiberti, Joë Bousquet, René Daumal, Antonin Artaud, Benjamin Fondane et Balthus, furent provoquées par l'admiration littéraire et humaine avant d'être développées et entretenues par une association du cœur et de l'âme.
Par ailleurs, De Bosschère n'était pas seulement écrivain, il travaillait aussi comme artiste graphique, notamment en tant qu'illustrateur pour ses livres.
Il a illustré entre autres des ouvrages d'Oscar Wilde et d'Antonin Artaud. A partir de 1905 il réalise régulièrement des gravures pour illustrer ses propres livres, tels que Édifices anciens (1908), Dolorine et les ombres (1911), Twelve occupations (1916) et Job le pauvre (1923). Il travaille dans le style art nouveau, aussi appelé Jugendstil ou modern style, ce dernier terme étant peut-être le plus juste, puisque le style de De Bosschère présente des ressemblances avec l'oeuvre d'Aubrey Beardsley. De Bosschère dessinait, tout comme Beardsley, des formes ondulantes et décoratives et des plantes stylisées, et se servait avec aisance de la répartition du noir et du blanc sur la surface. Les dessins imprimés en noir et ocre dans Dolorine et les ombres témoignent de l'intérêt que portait De Bosschère à tout ce qui est occulte et obscure.
Bosschère laisse de nombreux portraits de ses amis : André Suarès, Antonin Artaud, Henri Michaux, Max Jacob, Jean Paulhan ou Jean Follain.
[modifier] L'amitié de Max Elskamp
En 1909, quand paraît La Sculpture anversoise aux XVe et XVIe siècles, Bosschère l'envoie à Max Elskamp, poète qui occupe une position singulière puisqu'il n'a rien publié depuis onze ans et que son silence passe pour définitif. Elskamp, en effet, a rassemblé en 1898 sous le titre La Louange de la vie les quatre recueils parus à Bruxelles de 1892 à 1895. La même année, il a encore publié à Bruxelles Enluminures, puis il a cessé d'écrire. Bosschère a trente et un ans, Elskamp quarante-sept. Tout en confortant son admiration, le cadet va prendre en affection l'aîné, qui le lui rendra bien. Par l'échange de leurs impressions spirituelles, les deux hommes se lient profondément l'un à l'autre. Si les lettres de Bosschère à Elskamp ont été égarées, à quelques exceptions près, nous possédons celles d'Elskamp qui en dorment un témoignage subtil. Magnifique hommage rendu au poète et à l'ami, l'essai Max Elskamp de Jean de Boschère, publié en 1914, demeure irremplaçable pour la connaissance du poète.
[modifier] La période londonienne
Établi à Londres en 1915, il y rencontre Ezra Pound et les écrivains imagiste, et développe ses dons d'illustrateurs. Il écrit alors en anglais et entretient une amitié avec James Joyce, Aldous Huxley et T.S. Eliot
[modifier] L'Enragé
Au début de 1926, Bosschère s'installe près de la gare de Lyon, à Paris. Il y restera treize ans. Il rencontre Antonin Artaud à l'époque où il écrit son roman Marthe et l'enragé, dont Antonin Artaud dira dans La Nouvelle Revue française , en septembre 1927 : " Après avoir démonté les rouages psychologiques de ses personnages, jusqu'aux plus fins, jusqu'à ceux qui ont une sensibilité de mebrane, Jean de Bosschère les lance dans un drame effroyable dont les moindres péripéties sont décrites avec sens de l'orientation des lieux, avec des effets de perspectives mentale qui ont quelque chose de véritablement hallucinant."
[modifier] Satan l'Obscur
Jean de Bosschère a cinquante deux ans quand paraît, en 1933, Satan l'Obscur, roman autobiographique "où l'érotisme, la poésie, la religion et le sublime voisinent" (Antonin Artaud). Dans Satan l'Obscur, il évoque sa double liaison, avec Douce et sa fille Fryne, qu'il a vécue de 1916 à 1922. La complexité de la situation, la richesse psychologique du roman témoignent d'un homme hanté par des souffrances aiguës. L'Obscur, Pierre Bioulx d'Ardennes, est un homme tourmenté, non par une impuissance radicale, mais par une difficulté qui le contraint aux caresses raffinées, aux rites d'éclairages favorables et de dénudements partiels. Fryne trouve bon l'amour physique que Pierre trouve mauvais parce qu'il ne s'y sent pas assuré. Il fuira cette amoureuse après avoir remporté une victoire. Douce lui avait demandé d'ouvrir le cœur de sa fille, et il y est parvenu, mais il refuse cette nouvelle situation. En la quittant, il éprouve de la joie : « Vengeance infernale d'un homme corrompu par les défaites de ses luttes impossibles. » Pierre, celui par qui le bonheur n'arrive pas, est peut-être le versant négatif de Bosschère. Il a recours à cette amplification morale du mal qui serait en lui, probablement pour éviter d'être nu.
[modifier] Le dernier volet de la trilogie
Véronique de Sienne, achevé en 1933 et resté inédit, est le troisième volet d'une trilogie à base autobiographique qui comprend Marthe et l'Enragé et Satan l'Obscur. D'emblée, le lecteur est plongé dans un univers singulier où une femme vit sous le regard d'un esthète. La préciosité, qui est une qualité chez Bosschère, contribue à magnifier une Sienne sombre et secrète : « Pourquoi de telles nuits italiennes nous portent-elles à rendre un hommage d'amour à Shakespeare, toujours ? »
[modifier] Le renouvellement de l'écriture
En 1936, année où il termine L'Obscur à Paris, jaillissent les premiers poèmes qui marquent le renouvellement de son écriture. Ses proses parisiennes (L'Obscur à Paris et Paris clair-obscur – parus respectivement en 1937 et 1946 ) sont empreintes de ce voisinage en esprit. Vocabulaire étrange et luxuriant, discours sans concession témoignent de la préoccupation de l'artiste à qui observer ne suffit pas. Au-delà de notations précises, méticuleuses, il lui faut la transfiguration. L'humanité fort simple, et parfois en marge de la société, qu'il observe dans son quartier, et quelques zones limitrophes, il lui offre, par projection de soi et par la grâce du talent, la magnificence. Ce qui, sous la plume de tout autre, n'aurait été qu'un livre sur Paris, gracieux et fin, devient un chef-d'œuvre d'observation où sourd la construction intellectuelle et morale d'un homme tourmenté par l'humain.
[modifier] Les Paons et autres merveilles
Jean de Boschère a cinquante deux ans quand il vient vivre à Vulaines près de Fontainebleau en compagnie d'Élisabeth d'Ennetières avec laquelle il est parti pour l'Italie en 1922. Il a la tête pleine des beautés de la campagne romaine et bien des sensations de sa vie près d'Albano débordent de son cœur. Les Paons et autres merveilles est un livre autobiographique où il est question des paysages et des oiseaux plus que de l'homme. Au-delà des premières apparences, Boschère offre un « sentiment de l'Italie » : un monde de lumière et de chaleur saisi dans une langue inaltérable. Cette dette envers la campagne romaine, Boschère la ressentira toute sa vie et il en comprendra l'importance. « C'est toujours dans le Pays du Merle bleu, où j'ai vécu avec le soleil, les fleurs et les oiseaux, que cela me fut révélé », écrira-t-il. Cette façon d'être prépare la voie d'une évolution lente et ardente où d'autres livres de nature s'ajouteront aux Paons.