Lucien Febvre
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Lucien Febvre, né à Nancy (Meurthe-et-Moselle) le 22 juillet 1878 et mort à Saint-Amour (Jura) en 1956, est un historien français qui a eu une forte influence sur l'évolution de cette discipline notamment à travers l'école des Annales qu'il a fondée avec Marc Bloch.
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[modifier] Biographie
Issu d'une famille franc-comtoise, Lucien Febvre intègre l’École normale supérieure en 1899 après une année de service militaire. Il choisit alors de s'inscrire dans la Section des Lettres de l'ENS, tant les obligations de l'histoire méthodique de l'époque lui ont paru, au lycée Louis-le-Grand, de son propre aveu, insupportables. Ce noviciat douloureux explique en bonne partie la violence future du maître des Annales envers « l'histoire historisante » triomphante en cette fin du XIXe siècle.
Febvre collabore à partir de 1906, sous la direction d'Henri Berr, à la Revue de Synthèse et soutient en 1911 une thèse d'histoire, dirigé par Gabriel Monod : Philippe II et la Franche-Comté. Dans cette œuvre prometteuse pour laquelle il consacre plusieurs années de travail - il a 33 ans à la soutenance - Febvre affirme une audacieuse volonté totalisante. Cette somme est d'abord une « histoire politique, religieuse et sociale » qui renouvelle le paradigme historique. Détail secondaire mais relativement notable, il rejette, dans sa présentation, l'organisation canonique des thèses de l'époque, le célèbre plan à tiroirs. Nommé en 1912 professeur à la Faculté de Dijon, il y enseigne l'histoire et l'art de la Bourgogne.
Mobilisé avec le grade de sergent en 1914, il termine la guerre comme capitaine. Il obtient, à sa démobilisation, en 1919, une chaire d'histoire moderne à la Faculté de Strasbourg, nouvellement française, où ses qualités, déjà reconnues, doivent participer au rayonnement et au prestige de l'université française. Strasbourg représente jusqu'en 1933 - date de sa nomination au Collège de France - une période très féconde pour Lucien Febvre.
Il y rencontre Marc Bloch, futur collaborateur et ami très proche, et publie en 1922 La Terre et l'évolution humaine où il exprime son souci déjà ancien de la géographie et son admiration pour les travaux de Vidal de la Blache. Il y réfute le déterminisme en vogue à l'époque et forge à cette occasion le terme, aujourd'hui discuté par les chercheurs, de « possibilisme » pour qualifier la démarche de son aîné géographe.
En 1929, à Strasbourg, Febvre fonde avec Marc Bloch et des universitaires d'horizons multiples (dont le géographe disciple de Vidal, Albert Demangeon), les Annales d’histoire économique et sociale, suite logique de sa participation à la Revue de synthèse. Véritable profession de foi, cette publication vise à rassembler par les études historiques toutes les données quantitatives disponibles sur ces champs. Plus généralement, les Annales ont vocation à accueillir des contributions de toute nature sur l'étude des siècles passés.
Dans son œuvre, menée de front avec la direction de la revue, Febvre, spécialiste du XVIe siècle, explore les mentalités collectives, dans des analyses souvent soutenues par une étude biographique. Son premier ouvrage, Un destin Martin Luther en 1928, rencontre un grand écho dans les milieux universitaires. Il publie enfin, notamment durant la période d'Occupation plusieurs ouvrages remarquables : Le problème de l'incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais (1942), Origène et des Périers ou l'énigme du Cymbalum Mundi (1942), Autour de l'Heptaméron : amour sacré, amour profane (1944).
Après la guerre, patron et fondateur de la VIe section de l'École pratique des hautes études, Febvre assume beaucoup de responsabilités officielles et prestigieuses (UNESCO, Académie des Sciences morales et politiques, direction des Cahiers de l'Histoire mondiale etc.) Ces occupations ne l'empêchent pas de se consacrer aux nouvelles Annales qui ont reparu en 1946 sous un titre plus large qui démontre de l'ouverture du champ de l'histoire, alors en complet renouvellement, et surtout du triomphe en France de l'école historique qu'il a contribué à créer : Annales, Économies, Sociétés, Civilisations. Jusqu’à sa mort, en 1956, Febvre y apportera environ 500 articles et comptes rendus divers.
[modifier] L'historien
Lucien Febvre veut inscrire l’histoire dans le champ des sciences sociales, en brisant l’esprit de spécialité, en promouvant la pluridisciplinarité, les échanges entre chercheurs. Son projet est celui d'une histoire « totale », sorte de carrefour scientifique de toutes les sciences humaines, apportant une connaissance globale de la réalité du passé.
Il refuse ainsi de concevoir l’histoire comme l’enregistrement d’une suite d’événements à partir des seuls documents écrits comme le prônent Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos dans leur célèbre manuel publié en 1898, Introduction aux études historiques. Pour lui, les sources sont multiples. Il ne faut pas hésiter à faire appel à toutes les sciences voisines qui peuvent contribuer à élargir le regard du chercheur, telles que la linguistique ou l’ethnologie. Febvre recommande également de ne pas isoler les aspects de la réalité sociale, mais de mettre en évidence leurs interactions.
Febvre critique « l’histoire historisante » de ses prédécesseurs, qui se résume aux faits concernant les "Grands Hommes", constituée de biographies, de dates, de faits diplomatiques, de batailles, d'archives officielles, centrée sur le temps court et l'évènement. Cette vision déséquilibrée ignore les mouvements sociaux structurés sur le "temps long", les éléments de la vie humaine qui constituent pourtant une part essentielle de la recréation du passé - « ce qui s'est réellement passé », wie es eigentlich gewesen selon la formule célèbre de von Ranke - finalité qu'il va s'attacher à défendre tout au long de sa vie.
Pour autant, Febvre n'a cependant jamais écrit une véritable théorie de l'histoire. Plus concret dans ses approches, il défend d'abord une « révolution » méthodologique par la rencontre de toutes les sciences humaines en examinant l'homme « appréhendé au sein des groupes dont il est membre », credo maintes fois affirmé dans ses écrits et en premier lieu dans son recueil Combat pour l'histoire publié en 1953 quelques années avant sa mort.
Si cette bataille pour une nouvelle Histoire pouvait paraître incertaine au début du XXe siècle, les succès professionnels et la postérité de son œuvre ont offert à Lucien Febvre une victoire éclatante sur ses devanciers.
[modifier] Ouvrages
- Philippe II et la Franche-Comté. Étude d'histoire politique, religieuse et sociale, Paris, Honoré Champion, 1911, 808 p.
- Notes et documents sur la Réforme et l'Inquisition en Franche-Comté, Paris, 1911, 336 p.
- Histoire de la Franche-Comté, Paris, Boivin, 1912, 260 p.
- La Terre et l'évolution humaine, Paris, Albin Michel, « L'évolution de l'Humanité », 1922.
- Un Destin. Martin Luther, Paris, Presses Universitaires de France, 1928.
- Civilisation. Évolution d'un mot et d'un groupe d'idées, Paris, Renaissance du livre, 1930, 56 p.
- Le Rhin. Problèmes d'histoire et d'économie, Paris, Armand Colin, 1935.
- (dir.) : Encyclopédie française, 11 volumes parus de 1935 à 1940.
- Le Problème de l'incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, Coll. L'évolution de l'humanité, 1942, 548 p.
- Origène et Des Périers ou l'énigme du Cymbalum Mundi, Paris-Genève, Droz, 1942, 144 p.
- Autour de l'Heptaméron. Amour sacré, amour profane, Paris, Gallimard, 1944, 300 p.
- Les Classiques de la liberté : Michelet, Lausanne, Traits, 1946, 162 p.
- Combats pour l'histoire, Paris, Armand Colin, 1953, 456 p.
- Au cœur religieux du XVIe siècle, Paris, SEVPEN, 1957, 359 p.
- (en coll. avec Henri-Jean Martin) L’Apparition du livre, Albin Michel, Paris, 1958 (réimpr. 1971, 1999), 19×12,5 cm, 600 p. (ISBN 2-226-10689-8)
- Pour une histoire à part entière, Paris, SEVPEN, 1962, 860 p.
[modifier] Sources
- G. Bourdé, H. Martin, Les Écoles historiques, Seuil, 1983.
- Bertrand Müller, Bibliographie des travaux de Lucien Febvre, Armand Colin, 1990.