Gondelbert
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Saint Gondelbert est un personnage légendaire, associé à la fondation du ban religieux de Senones. Il est célébré le 21 février. La contrée de La Grande-Fosse - autrefois Grangia Fossa - a gardé des lieux rappelant la présence et le culte de Gondelbert. Ce dernier provoque encore de vigoureux chahuts tapageurs et des débordements sensuels de jeunes gens, au point que l'autorité religieuse, répondant à l'indignation bigote de notables, l'interdit dans les années 1840.
Gondelbert, Saint Dié, Spin et surtout Leudinus Bodo sont aussi des fondateurs légendaires de bans religieux à la même époque. On peut simplement supposer que ces premiers patrons de bans avaient un pouvoir quasi-épiscopal sur leurs ouailles. Gondelbert, senonis papae, a donc été abusivement traduit en évêque de Sens. Il n'était que simple patron du ban de Senones.
Essayons de présenter ce personnage légendaire, que l'on suppose simplement chrétien fondateur de ban, en essayant de nous abstraire des vieilles querelles religieuses d'antériorité de fondation, parfois reprises par l'érudition la plus froide.
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[modifier] Tradition historiographique locale
Une tradition historiographique sortie des monastères médiévaux décrit ces fondateurs légendaires à leur image, en moine, c'est à dire en saint homme parfait, qui avait exercé en outre des tâches épiscopales au plus haut niveau de l'Eglise. Elle attribue la fondation des premiers monastères de la montagne vosgienne à saint Bodon, saint Gondelbert, saint Déodat ou saint Dié en leur adjoignant saint Hydulphe. La création de cette ensemble de monastères s'agençent de façon harmonieuse en forme de croix dans le massif des Vosges. Elle dessine la Sainte Croix des Vosges ou Croix monastique de Lorraine.
Une version autrefois acceptable à Senones s'écrit :
Les premiers monastères correspondent aux abbayes de Senones à l'est, fondée par saint Gondelbert vers 640, Étival et Bonmoutier fondées par saint Bodon vers 660-665, respectivement à l'ouest et au nord, puis Saint-Dié dans le Val de Galilée par saint Déodat vers 669 au sud et enfin, en 671, Moyenmoutier au centre par saint Hydulphe.
On remarque que les dates ci-dessus mentionnées donnent l'antériorité à Gondelbert et à Senones, donc un privilège de suprématie symbolique. On comprendra que le même texte sera corrigé sur le ban d'Étival avec une date de 640 pour la fondation de Bodon et un recalage vers 660 ou 670 pour la fondation de Gondelbert et ainsi de suite. Une multitude de variante existe même dans chaque grande paroisse.
Tout était dit, mais les historiens sceptiques pensent que les installations monastiques sont plus tardives. Ils n'ont accepté que le moine bénédictin Hydulphe et ils ont émis des réserves sur le statut monastique de Déodat et surtout Gondelbert. Des réponses pour prendre en compte la longue tradition concrète maintenue dans ces bans religieux ou grandes paroisses ont affirmé que Gondelbert était un moine colombaniste de Luxeuil et que Déodat était aussi un moine de rite irlandais.
Il est plus prudent d'affirmer que les patrons fondateurs de ban sont des chrétiens de la vieille tradition belge ragaillardie par les influences irlandaises. Ces hommes tentent de fondre les vieilles relations païennes, tribales et claniques en libre assemblée chrétienne. La nouvelle communauté, organisée par des instances communautaires, émanation de l'assemblée des hommes et dirigée par un élu, entretient un vaste réseau de solidarité avec les contrées extérieures, renforce des liens déjà anciens et attrappe une colossale source d'autonomie vis à vis du pouvoir régalien en gérant ses propres impôts et son territoire de manière cohérente.
[modifier] Etude critique
Les dates variables des historiographes religieux, reprises sans modélisation d'ensemble par les érudits locaux, necessitent une remarque documentée.
D'après l'archiviste Paul Boudet, les reconnaissances d'immunités des bans religieux de la montagne vosgienne se placent au temps de Garibald, évêque de Toul soit pour lui entre 669 et 679. Le diplôme de Childéric II - qui règne de 660 ou 662 à 673 ou 675 - qui accorde à Gondelbert la concession royale se place au plutôt vers 669. Elle est donc contemporaine de la concession royale faite à saint Dié.
La vita Hidulphi rédigée au onzième siècle par le moine Humbert de Moyenmoutier ou sur son ordre mentionne l'existence d'Hydulphe sous l'évêque Jacob ou Jacques qui exerça au huitième siècle après Garibald, Godon et le très long épiscopat de Bodon. Il est fort probable que le bénédictin Hydulphe, patron de moines privilégiés par les premiers carolingiens, en particulier le roi Pépin, n'ait jamais connu Gondelbert. Sur un autre point de vue, le bénédictin Hydulphe qui exerçe un quasi-monopole administratif et religieux n'a jamais participé à la diversité des petits moutiers, la préservation tolérante des traditions locales compatibles avec les croyances des moines de rite irlandais et l'organisation d'assemblée chrétienne prêtes à défendre leurs droits et leurs particularités.
Albert Ronsin, sceptique sur le personnage proclamé évêque de Senones, soulignait l'étendue du ban de Senones. Il s'étend sur une partie de la Bruche, de la Plaine en plus du val du Rabodeau. Et c'est effectivement l'aspect crucial de la formation de ce ban. En premier lieu, Gondelbert est un chrétien de rite irlandais, il est devenu senonis papae, c'est à dire le patron de l'église de Senones, avec un pouvoir spécifique sur les autres chrétiens de ce nouveau ban. En second lieu, par rapport au grand ban d'Etival que la géographie politique romaine ou simplement le respect du diocèse avait déterminé, le ban religieux de Gondelbert se crée par dissidence. Tout se passe comme si les hommes veulent conserver de part et d'autre des montagnes, et au delà vers les plaines une solidarité. Si la dissidence a fini par être reconnue par le pouvoir royal, octroyeur de privilèges et de charte de fondation, ces forts liens de solidarité entre les hommes répartis sur des territoires éloignés ont joué un rôle déterminant. Ainsi le ban de Senones a bénéficié d'un soutien dans la vallée de la Bruche et en Alsace, et surtout dans le pays de Badonviller et au delà même vers Lunéville. Le ban d'Étival, rappelons-le, a des liens très fort à l'ouest avec l'énorme ban de Nossoncourt, les promoteurs du ban de Saint-Dié ne négligent pas les soutiens tant en Alsace et en Chaumontois, au long du très modeste chemin qui influencera plus tard la petite route de Rambervillers à l'Aussaye.
Hormis la fondation de l'église saint Pierre à Senones que la légende accorde à saint Gondelbert, la commune de la Grande Fosse, partie du territoire du ban primitif au méridien de la via salinatorum ou voie des Saulniers, a gardé le souvenir du saint. Il existe l'église du village, une chapelle près de la Bonne Fontaine et même un refuge forestier de la commune de Provenchères qui portent la marque du saint.
[modifier] Apports toponymiques et mythologiques
Comme le nom de Grangia Fossa devenu par altération "La grande Fosse" l'indique, la vallée qui s'amorce était parsemée de granges. Ces réserves de grains désignent un lieu de pouvoir déjà ancien de la montagne, proche de la voie romaine. Pour protéger les réserves de céréales et les préserver du pourrissements, des atteintes des intempéries, de pertes par les rongeurs, les peuples antiques invoquent des génies des grains[1]. Devenus divinités de l'abondance, ils rejoignent le panthéon nordique des Dieux Vanes.
Ce lieu de pouvoir mérovingien et sa relation marchande a permis à Gondelbert de fonder un vaste ban chrétien et, au besoin, de résister à une rivalité ou à une éventuelle hégémonie d'un administrateur royal. L'extension du ban concorde avec une emprise de clientèle sur un vaste secteur au nord autour de Senones. Les moines bénédictins de Senones, qui connaissent une belle apogée au douzième siècle, ont capté ainsi l'héritage de Gondelbert en le transformant en saint moine.
L'omniprésence de seigle dans les granges a attiré les moines antonistes, qui surveillent au onzième siècle le degré de comestibilité ou d'avarie de ces grains sensibles à l'excès d'humidité, causant le mal des ardents. Saint Antoine qui résiste à la tentation a reçu la mission de calmer les ardeurs de Gondelbert.
D'un point de vue mythologique, la représentation populaire de Gondelbert a puisé dans les divinités celtiques de la prospérité et de la fertilité. Les mythes nordiques plus tardifs mentionnent l'existence des Vanir ou dieux vanes. Parmi eux, Njördhr, dieu des eaux et de la mer poursuit de ses assiduités la déesse Skadi, géante des montagnes, symbolisant la neige, le gel et la mort froide. Une des manifestations naturelles, la migration des saumons vers leur frayères d'altitude, rappelle cette fatale et vaine attraction, source paradoxale d'un renouvellement prolifique.
Un clin d'œil à la lignée des seigneurs de Salm, porteurs d'un écusson aux saumons, qui impose son autorité en digne héritière de Gondelbert sur une grande part des possessions du ban de Senones. Les seigneurs de Salm surent reprendre et cultiver, bien mieux que les moines enrichis et assoupis, l'héritage de saint Gondelbert, chipant et la popularité auprès des populations nombreuses et modestes, et les terres d'une grande partie de l'abbaye dont elle était pourtant l'avoué et le protecteur attitré.
[modifier] Notes
- ↑ Autre manière d'écrire qu'ils les confiaient à des experts et ingénieurs spécialisés.
[modifier] Voir aussi
[modifier] Bibliographie
(Sources utilisées pour la création de l'article : )
- Paul Boudet, Le chapitre de Saint Dié en Lorraine, des origines au seizième siècle, Archives des Vosges, édition Société d’Emulation des Vosges, 1914, 280 p.
- Albert Ronsin (dir.), Dictionnaires des Vosgiens célèbres, Gérard Louis éditeur, Remiremont, 1990, p. 171-172