Digamma
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Lettres grecques | ||||||
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Α | α | alpha | Ν | ν | nu | |
Β | β ϐ | bêta | Ξ | ξ | xi ou ksi | |
Γ | γ | gamma | Ο | ο | omicron | |
Δ | δ | delta | Π | π ϖ | pi | |
Ε | ε | epsilon | Ρ | ρ ϱ | rhô | |
Ζ | ζ | zêta | Σ | σ ς | sigma | |
Η | η | êta | Τ | τ | tau | |
Θ | θ ϑ | thêta | Υ | υ | upsilon | |
Ι | ι | iota | Φ | φ ϕ | phi | |
Κ | κ ϰ | kappa | Χ | χ | chi ou khi | |
Λ | λ | lambda | Ψ | ψ | psi | |
Μ | μ | mu | Ω | ω | oméga | |
Lettres obsolètes | ||||||
Ϝ | ϝ | digamma | Ϸ | ϸ | sho | |
Ϛ | ϛ | stigma | ϟ | ϟ | koppa | |
Ϻ | ϻ | san | Ϡ | ϡ | sampi | |
Autres lettres | diacritiques |
Le digamma (capitale Ϝ, minuscule ϝ), en grec δίγαμμα, est le nom actuel d’une lettre grecque archaïque servant à noter le phonème /v/ ou actuellement le /w/ et à désigner ─ confondu avec le stigma ─ le nombre 6 dans la numération grecque. Selon son rôle, son tracé et son histoire sont très différents.
Sommaire |
[modifier] Digamma comme lettre
Note : les transcriptions phonétiques suivent l'alphabet phonétique international. Les lettres grecques citées autonymiquement comme lettres ne sont pas mises en italique, au contraire des lettres latines.
[modifier] Origine phénicienne
Lorsque les peuples grecs ont emprunté au VIIIe siècle avant notre ère les lettres phéniciennes pour créer leurs alphabets (il a en effet existé de nombreuses moutures de l'alphabet grec avant que le modèle ionien de Milet ne s'impose à Athènes en -403), ils se sont servis de la lettre wāw (ou wāu) pour transcrire la consonne /w/ hérité de l'indo-européen. Ce phonème, cependant, s'est montré très faible en grec, puisque tous les dialectes ne l'ont pas gardé et, surtout, il ne s'est pas conservé dans la langue dominante ─ l'ionien-attique ─ qui deviendra, plus tard, la koinè, elle-même donnant naissance au grec moderne. Présent en mycénien, en grec de Laconie, Béotie et Chypre et dans d'autres régions, il est absent (ou très rapidement éliminé) en ionien, attique, et dorien oriental. La disparition plus ou moins graduelle de ce phonème dans la langue a donc rendu l'existence d'un signe pour le noter assez fragile.
Le tracé du wāw a évolué de diverses manières selon les alphabets, parmi ceux qui ont eu besoin de noter le phonème /w/, bien qu'on le représente maintenant sous une forme standardisée très proche d'un F latin, soit Ϝ (que l'on représente en minuscule par ϝ ; rappelons que les minuscules sont apparues bien après les capitales et que l'existence d'une telle minuscule ─ inconnue des inscriptions antiques ─ est un artifice typographique). D'autres formes sont attestées, mais rarement utilisées dans les éditions modernes de textes grecs, dont une approchant d'un ᄃ (surtout présente dans l'alphabet de Béotie). L'ordre levantin ayant été respecté par les Grecs, la lettre, nommée ϝαῦ waũ (selon Varron), occupait la 6e place dans l'alphabet et avait la valeur numérale 6 (ce qui lui a permis de ne pas être entièrement éliminée de l'alphabet). C'est plus tard qu'on l'a désignée par l'appellation descriptive de δίγαμμα dígamma, par référence à la forme Ϝ, semblable à deux Γ gammas en capitales qui auraient été empilés.
La même lettre phénicienne avait aussi servi à noter le phonème vocalique /u/ (de roue), passé ensuite à /y/ (de rue) en ionien-attique, adoptant plusieurs tracés différents du premier, parmi lesquels upsilon Υ (qui a été pérennisé) et V (qui n'est pas resté dans le modèle standard ionien mais s'est transmis via l'alphabet étrusque aux Romains). En sorte, le digamma grec n'est que le reflet consonantique du wāw phénicien, lettre qui a aussi donné, comme version vocalique, Υ.
[modifier] Disparition de la lettre
Cependant, après l'adoption par Athènes du modèle ionien ─ modèle devenu par la suite, à cause du rayonnement intellectuel, militaire et financier de la Cité, celui de toute la Grèce ─, le digamma est sorti plus ou moins rapidement des usages (selon les régions ; le IIe siècle constitue une date limite) : en effet, en ionien (et donc en ionien-attique), le phonème /w/ s'était amuï dans toutes les positions, entraînant naturellement l'inutilité d'un signe pour le transcrire. Ainsi, on ne trouve plus de trace du digamma dans l'alphabet actuel, non plus dans la langue moderne, issue principalement de la koinè athénienne (pour la question de l'emploi comme signe numérique, voir plus bas).
[modifier] Importance dans l'étude épigraphique et philologique
Pourtant, la consonne /w/ (qu'elle soit réalisée [w], ou [β] voire [v] par renforcement articulatoire) étant fréquente dans les autres dialectes grecs anciens (et donc dans leur écriture : la lettre est présente dans les alphabets de Crète, Corcyre, Béotie, Corinthe, Laconie, Arcadie, entre autres), il est nécessaire, dans la transcription d'inscriptions épigraphiques ou de textes littéraires, de disposer d'un caractère spécifique. De même, la linguistique comparée des langues indo-européennes et l'étude diachronique de la langue grecque demandent un tel caractère, ce qui explique qu'il se lise fréquemment dans les textes didactiques ou les éditions universitaires de textes non ioniens-attiques.
Exemples :
- en épigraphie : ϜΑΡΓΟΝ wargon (éléen), ϜΟΙΚΟΣ woikos (thessalien), ϜΕϘΟΝΤΑΣ wekontas (locrien), ΒΟϜΑ (pamphylien) ;
- chez Alcée de Mytilène, qui écrivait en lesbien (dialecte éolien asiatique) : ϝρῆξις wrễxis « déchirure » (en ionien-attique : ῥῆξις rhễxis) ; de même chez Sappho : Τὸν ϝὸν παῖδα κάλει tòn wòn paĩda kálei « elle le nomme son propre enfant » ;
- bien que déjà disparue de la langue d'Homère, la consonne /w/ s'y révèle en filigranne par la scansion des hexamètres dactyliques. L'aède, en effet, pratique des hiatus normalement évités, allonge des syllabes normalement brèves d'une manière que les Anciens prenaient pour une licence poétique. Or, rétablir un /w/ là où ces phénomènes se produisent (pas systématiquement, cependant), permet de comprendre que s'était maintenu le souvenir d'une telle consonne, grâce, notamment, à l'existence de formules prêtes à l'emploi tirées de divers dialectes dans lesquels /w/ s'était parfois conservé. Dans ce cas, on notera /w/ par un digamma. Comme l'explique Jean Humbert (cf. bibliographie plus bas) :
-
- « Encore que l'hexamètre dactylique, dont il [Homère] use, exclue en principe les hiatus entre les voyelles, il sait que le même hiatus est autorisé dans une formule telle que Τενέδοιο τε ἶφι ἀνάσσεις “tu règnes en souverain sur Ténédos”, sans se douter que les deux hiatus disparaissent si on lit ϝῖφι (cf. lat[in]. uis “force”) et ϝανάσσεις (cf. myc[énien]. wanake = ἄνακτες “les souverains”), restituant ainsi le ϝ dont, aussi loin que l'on remonte, l'ionien n'a pas conservé de traces. »
- L'allongement de certaines syllabes s'explique d'une manière similaire. Bien que le digamma n'ait jamais été écrit dans les éditions les plus anciennes d'Homère, certains éditeurs le rétablissent cependant, ce qui permet une analyse plus fidèle du texte mais ne signifie pas qu'il était réellement prononcé à l'époque d'Homère, encore moins à celle de la fixation du texte par écrit (VIe siècle avant notre ère, sous Pisistrate). C'est le cas dans l'édition castillane de Luis Segalá y Estalella des textes homériques (chez Editorial Voluntad, 1934), qui écrit par exemple le vers 3 du premier chant de l'Iliade πολλὰς δ' ἰφθίμους ψυχὰς Ἄϝιδι προΐαψε là où d'autres éditions n'auront que Ἄϊδι (en ionien-attique Ἅιδης ou ᾍδης au nominatif) ;
- dans des analyses comparatives ou diachroniques modernes (dans ce cas, le digamma est un artifice philologique permettant de transcrire un phonème /w/ ancien même quand il n'existe pas de forme attestée l'utilisant) : « Le génitif de πῆκυς devrait être πήκεος [*πηκεϝος] attesté chez Hérodote » (Grammaire grecque de Ragon chez Nathan / de Gigord, paragraphe 61, remarque III ; remarquer l'utilisation de l'astérisque pour désigner une forme reconstituée non attestée). D'une même manière, la transcription de textes mycéniens, langue dans laquelle /w/ est parfaitement conservé, fait appel au digamma.
Il est cependant fréquent que le phonème /w/ ait été noté par d'autres lettres, d'autant plus quand il s'était renforcé : on trouve par exemple chez Sappho l'adjectif vrádinos « souple » (avec [v] issu de /w/) écrit βράδινος (en ionien-attique : ῥαδινός rhadinós).
[modifier] Transmission à l'alphabet latin
La lettre latine F provient, indirectement, du digamma grec, transmis par les Étrusques. Si la lettre se prononce /f/ et non /w/ en latin, c'est parce qu'elle a été utilisée par les Étrusques ─ puis par les Romains ─ dans le digramme FH pour représenter synthétiquement /f/, absent du grec (il existait cependant d'autres notations en alphabet étrusque), en concurrence avec F seul pour /v/, phonème inexistant en latin. Le digramme est synthétique puisque /vh/ peut se réaliser [v̥], soit /v/ dévoisé. Les Romains se sont contentés de Y (tracé V) pour écrire /u/ et /w/ et ont simplifié la graphie FH en F à partir du IVe siècle avant notre ère.
[modifier] Transmission à d'autres alphabets
Il est notable que le digamma existe aussi dans l'alphabet gotique et l'alphabet copte. Il sert dans les deux cas à la numération alphabétique (cf. Numération gotique et Numération copte).
[modifier] Digamma comme nombre / stigma
Bien que le digamma ait définitivement disparu en tant que consonne au IIe siècle, son rôle en tant que lettre numérale (avec la valeur 6) du système de numération alphabétique de Milet lui a permis de « survivre » aux siècles.
Son tracé, cependant, s'est fortement modifié (d'autant plus que le signe n'étant plus utilisé dans l'écriture alphabétique courante, il était devenu d'usage plus rare) : en onciale grecque médiévale puis dans l'écriture cursive, il en vient, par simplification du ductus, à être écrit (en un seul trait courbé et sans traverse centrale). Or, cela l'a fait ressembler fortement (et fortuitement) à la ligature stigma, (où l'on reconnaît le sigma lunaire, Ϲ, semblable à la lettre latine C), très fréquente alors et tracée actuellement Ϛ (ϛ en minuscule). Au final, les deux signes ont été confondus, le digamma, rare en tant que lettre indépendante, s'étant éclipsé au profit de la ligature, plus courante.
Depuis, le digamma utilisé comme nombre s'écrit avec un stigma dans les textes modernes, le digamma ancien, Ϝ, restant le plus souvent limité aux usages textuels ou comme signe numéral dans les éditions de textes anciens. Or, comme la ligature stigma a disparu en tant que telle, ainsi que les autres ligatures, au XVIIIe siècle (bien qu'elle se soit conservée un peu plus longtemps), elle n'est pas toujours accessible aux éditeurs, qui la remplacent très souvent par sa forme décomposée, sigma tau : στ. Enfin, par une confusion due à la ressemblance fortuite entre l'œil du stigma et celui du sigma final ─ ς ─ certains éditeurs (rarement en Grèce) confondent les deux caractères. C'est cependant un emploi abusif
En conclusion, le nombre 6 peut être écrit de plusieurs manières : ϝʹ (surtout en épigraphie ou pour des textes anciens), ϛʹ ou στʹ (ςʹ étant à éviter).
[modifier] Codage informatique
La lettre digamma est codée par Unicode aux emplacements suivants :
- capitale Ϝ (U+03DC) :
- UTF-8 : 0xCF 0x9C ;
- UTF-8, représentation octale : \317\234 ;
- entité numérique décimale HTML : Ϝ ;
- minuscule ϝ (U+03DD) :
- UTF-8 : 0xCF 0x9D ;
- UTF-8, représentation octale : \317\235 ;
- entité numérique décimale HTML : ϝ.
Le digamma numéral confondu avec le stigma est codé de la même manière que cette ligature.
[modifier] Bibliographie
- The World's Writing Systems, ouvrage collectif sous la direction de Peter T. Daniels et William Bright, Oxford University Press, 1996.
- Michel Lejeune, Phonétique historique du mycénien et du grec ancien, éditions Klincksieck, 1967 ;
- Jean Humbert, Histoire de la langue grecque, Presses universitaires de France, collection « Que sais-je ? », numéro 1483, Paris, 1972.