Discours de Fernand Dehousse sur le fédéralisme
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Le discours de Fernand Dehousse sur le fédéralisme est celui que prononce cet homme politique le 20 octobre 1945 devant le Congrès national wallon. Sa thèse fédéraliste n'obtient dans un premier temps que 40% des votes contre 46% à la thèse réunioniste lors de ce que l'on appella le «vote sentimental» en faveur de la réunion de la Wallonie à la France, mais est finalement adoptée à l'unanimité du Congrès après un nouveau vote. Ce discours est une introduction simple et claire sur ce type de régime finalement peu connu en Francophonie, sauf l'exception du Québec et de la Suisse romande (ou encore du Cameroun), mais qui, pour diverses raisons (contestation du fédéralisme par une majorité de Québécois francophones et aussi des Camerounais francophones - mais pour d'autres raisons -, particularités du fédéralisme suisse etc.), ne servent pas assez de modèles dans le monde francophone.
[modifier] Contexte
[modifier] Un professeur de droit international
Fernand Dehousse (1906-1976), professeur à l’Université de Liège, associé à l'Institut de droit international à partir de 1947, représenta la Belgique à l'Assemblée générale de l’ONU de 1946 à 1948 notamment, poursuivit sa carrière politique et universitaire et siégea encore comme ministre dans plusieurs gouvernements belges, dont le Gouvernement de Gaston Eyskens de 1968 à 1971, qui jeta les bases du fédéralisme belge. Son discours au Congrès national wallon d'octobre 1945 a valeur non seulement politique mais théorique, car il situe dans un contexte politique concret qui en rehausse encore la valeur, la doctrine du fédéralisme. En voici quelques brefs extraits significatifs...
[modifier] La définition du fédéralisme
Le fédéralisme, Mesdames, Messieurs, est un mot que l'on emploie souvent et dont on ne sait pas toujours très exactement ce qu'il veut dire. La raison en est qu'il y a pour ainsi dire autant de fédéralismes que d'États qui vivent sous des régimes fédéraux. C'est un régime qui nait de l'histoire, approprié aux besoins de chaque peuple et qui, par conséquent, présente un grand nombre de variantes. Mais il y a toujours dans tous les systèmes de fédéralisme un fond commun. Ce fond consiste à enlever au pouvoir central un certain nombre d'attributions. Si donc nous introduisions le fédéralisme en Belgique, cela signifierait qu'en Wallonie notamment, il y aurait demain sur le plan du droit public, une collectivité locale wallonne, un Pouvoir exécutif wallon, des institutions wallonnes.
[modifier] Expression "raisonnable" du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
C'est un régime essentiellement démocratique, mais qu'on ne trouve jamais que là où existe la démocratie. Chaque fois qu'une dictature arrive au pouvoir, son premier acte est de balayer le fédéralisme (...) le fédéralisme est essentiellement et profondément l'expression de la démocratie. De même, le fédéralisme est une forme supérieure de gouvernement parce que les pouvoirs locaux qui l'instituent sont incontestablement au courant de tous les besoins locaux, bien mieux que le meilleur gouvernement central. Le fédéralisme est une application, une manifestation plus raisonnable, plus limitée de ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dont il ne s'agit pas de contester la justesse dans son principe. En fait, le fédéralisme présente une quantité d'avantages si grands qu'il a été souvent proposé parmi les solutions susceptibles de régler, en Belgique, le dualisme wallon-flamand.
(...)
[modifier] Fédéralisme et confédéralisme
Pour vous exposer franchement toute ma pensée, le fédéralisme n'est pas nécessairement éternel. Le fédéralisme comporte, comme dans ce régime qui unit les États confédérés de l'Union soviétique, le droit de sécession, c'est-à-dire le droit de se retirer éventuellement de la confédération. Mais fédéralisme signifie aussi dernier essai de vie en commun dans le cadre de la Belgique.
(...)
On a dit (...) que nous ne réussirions pas. On a dit que le fédéralisme impliquait une révision de la Constitution. On a dit cela et bien d'autres choses encore. Je crois que le combat à mener n'est pas facile. Personne ne l'a jamais soutenu. Je ne dis pas qu'il s'agit d'une œuvre de quelques mois ou de quelques années. Je pense, au contraire, que c'est une œuvre de longue haleine qui exige beaucoup de courage et beaucoup d'efforts. Il y a longtemps, pour ma part, que je suis convaincu qu'il n'existe pas d'autre moyen de nous sauver. Je suis convaincu que ce sera le rôle du fédéralisme.
[modifier] Nous ne perdrons pas notre liberté ni notre indépendance!
Les circonstances ont voulu que, pour assister à ce Congrès, je revienne de France et que je fasse la traversée Paris-Liège en auto, ce matin. En arrivant sur les hauteurs, je regardais comme je le fais souvent, cette ville de Liège si belle sous le soleil d'octobre, j'admirais les feuillages mordorés et la douceur de la courbe des collines, le frémissement et le scintillement de l'eau, et je pensais que, sur cette terre-là, vit une race qui, depuis des siècles, pratique la liberté et l'indépendance. Elle ne les perdra pas !
[modifier] Réaction des Congressistes, place du texte dans le fédéralisme belge
Le compte rendu de la séance note: L'assemblée, debout, acclame très longuement l'orateur. Ce fut la réaction la plus enthousiaste bien que cette thèse, en un premier temps n'obtint que près de 40% contre la thèse réunioniste qui obtint 46%. La thèse défendue par Dehousse fut adoptée le lendemain à l'unanimité. Après le vote, l'écrivain Charles Plisnier, considéra que le fédéralisme était un dernier essai d'entente avec les Flamands, laissant entendre qu'ensuite, il faudrait se tourner vers la France. Ici l'assemblée se leva et entonna la Marseillaise. Mais il est vrai que Plisnier revint ensuite à la fin de sa vie sur ce point de vue réunioniste et plaida pour le fédéralisme, y compris dans un cadre européen.
Certes, les Wallons n'allaient obtenir le fédéralisme que très longtemps après, malgré une proposition de révision de la Constitution belge déposée en 1947 au Parlement belge, l'insurrection de juillet 1950 qui clôture la Question royale, la grève générale de 1960 qui le revendique à nouveau, la révision de la Constitution sous le Gouvernement Eyskens de 1968 à 1971. Mais l'esprit dans lequel Fernand Dehousse influença les travaux du Gouvernement Eyskens ainsi que ceux du Parlement belge, les contributions personnelles de Jean-Maurice Dehousse aux débats et décisions ultérieurs portent la marque de ce qui avait été dit en 1945. La dynamique institutionnelle belge s'en ressent et en garde également l'esprit, même si elle s'est orientée ensuite vers des traits de plus en plus confédéralistes. On doit à Jean-Maurice Dehousse notamment ce que l'on appelle l'équipollence des normes, disposition qui veut que la loi fédérale n'ait aucune préséance sur la loi des États fédérés, le principe réalisé des compétences exclusives. Ensuite (en 1993), l'exercice de ces compétences sera prolongé sur la scène internationale. Certes, ce dernier trait en particulier rend le fédéralisme belge unique au monde. Mais c'est bien ce que disait justement Fernand Dehousse à l'automne 1945, soulignant à la manière professorale toutes les possibilités du fédéralisme sur le plan théorique, ce qui allait se vérifier dans la pratique du fédéralisme belge dont il est sans aucun doute le principal concepteur et le principal acteur politique avec un fils qui partage son excellence à la fois politique et théorique.
[modifier] Un discours "nationaliste"
On peut aussi montrer - et d'ailleurs F.Dehousse ne ferme pas la porte à cette éventualité - que ce discours était "nationaliste" au sens neutre que mot ce revêt en anglais et qui désigne ce qui a trait à la nation. Le Congrès était d'ailleurs considéré comme "national" par ceux qui y assistaient. Dehousse évoque la possibilité d'un fédéralisme qui aurait des dimensions de confédéralisme, ce qui est bien le cas du fédéralisme belge aujourd'hui à tel point que l'on peut parler d'un indépendantisme wallon qui ne s'assume pas comme tel mais qui peut tabler sur la dynamique institutionnelle belge pour pousser à des formes d'existence de plus en plus indépendante pour la Wallonie. On pourrait même parler d'un nationalisme wallon en ce sens.